Cuba Sì !
Interview de Fidel Castro




Lors du tournage de Cuba Sì ! Chris Marker réalisera une interview de Fidel Castro.

3 passages de cet entretien sont visibles dans la version finale : 

- De 19'38" à 22'18".

- De 26'47" à 28'34". 

- De 31'32" à 34'37".



"...Tout le monde a sa petite idée sur Castro, tout le monde l’étiquette et l’explique. Et puisque tout le monde est capable de répondre à sa place… peut-être lui-même :


C’est une question difficile. Je crois que j’étais un enfant comme tous les enfants. C’est difficile de déterminer ce qui fait un révolutionnaire. Un peu de vocation politique, d’abord. Question de caractère, aussi. Un caractère un peu rebelle, une tendance naturelle vers les choses, la justice, une opposition innée à ce qui vous paraît injuste ou immoral. Tout ça fait partie de la vocation. Mais en fait, ni la révolution, ni les révolutionnaires ne dépendent d’eux mêmes, des individus. Ils dépendent d’un climat. Un climat d’injustice, des conditions réelles qui permettent à la vocation de s’exprimer. Il n’y a pas de révolutions à contre-temps. Ô combien de Marats, combien de Robespierres, combien de Dantons sont nés en France depuis que la France existe ! Et un seul Marat, un seul Danton, un seul Robespierre deviennent révolutionnaires. Quand ? Quand la monarchie féodale est au bord de sa disparition. Quand la société française porte en elle les conditions d’un monde nouveau. ainsi les facteurs qui m’ont fait révolutionnaire, qui ont fait révolutionnaires tant de mes compagnons, qui ont fait le peuple révolutionnaire, ils étaient dans la société où nous vivions."


[…]

"Ce n’est pas que nous nous désintéressions du pouvoir après la guerre, nous voulions marquer que nous n’étions pas mûs dans cette lutte par des ambitions de type personnel. Ce qui importait, c’est qu’un certain programme soit appliqué. A un moment, nous avons cru que c’était possible. C’est dire que nous étions encore un peu… utopistes. Je vous avoue que tout de suite après le triomphe de la Rév… de la guerre, après la guerre, nous étions pratiquement à l’écart du gouvernement. Nous n’avions rien à voir avec les décisions du Conseil et nous attendions, comme la chose la plus logique du monde, que les plus hauts responsables prennent une série de mesures élémentaires, que le peuple attendait, et qui nous paraissaient comme l’ABC de toute révolution. Passèrent les semaines, et pas une seule de ces mesures n’était prise. Même si nous avions voulu rester à l’écart, si nous n’avions pas eu vocation de gouverner, si nous avions voulu rester à l’écart, ce n’était plus possible."


[…]


"… donc Castro entreprit de vendre son sucre aux pays de l’Est, donc on l’accusa de s’être vendu aux Russes. C’était l’une des deux accusations de base, l’autre était l’absence d’élection. Et l’on pouvait en effet s’étonner que Castro ne fît pas sanctionner dans les formes une popularité éclatante. Nous lui avons posé la question.


Cela paraîtrait difficile à comprendre si l’on ne tient pas compte de ce que notre pays a été en proie pendant 60 ans à des espèces de farces… qu’on appelait élections. C’est une fausse démocratie, celle qui a sévi également en Amérique Latine, pendant un siècle et demi, sans rien résoudre, sans rien faire que porter au pouvoir toutes sortes de médiocres, de voleurs, de serviteurs des intérêts établis… Un moment viendra où la Révolution en tant que processus dynamique qui détruit l’ancien et construit le nouveau ira s’institutionnalisant. Nous ne sommes pas éternels, et la minute que vit la Révolution n’est pas éternelle. Le moment viendra où tout le nouvel ordre créé acquerra un caractère institutionnel, où cette démocratie essentielle et réelle créera aussi des formes nouvelles. D’abord, une société qui naît, ensuite, elle prendra forme institutionnelle. Et là, les Français devraient être les premiers à nous comprendre. Les Français ont des élections tous les ans, municipale… nationale… pour un président… un député… c’est à dire que peut-être aucun pays au monde n’a connu en ce demi-siècle, plus d’élections que la France. Et les Français ne sont pas contents. Ils peuvent parfaitement comprendre que les factions, l’électoralisme, n’a résolu aucun problème fondamental. Quelquefois, les classes dominantes se lassent des élections, et alors vont jusqu’au fascisme. Jusqu’au fascisme ! Ici, c’est une révolution qui va jusqu’au socialisme. Il en naîtra un régime et une vie sociale nouvelle qui à son tour instit…. qui à son tour ins-ti-tu-tio-na-li-se-ra ! (Je ne voulais pas m’avouer vaincu !) En attendant nous avons ici une élection tous les mois : sur la place publique. C’est une espèce de démocratie athénienne."




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