Collaborateurs, producteurs 
et ami(e)s


L'oeuvre de Chris Marker ne peut se comprendre sans tenir compte des échanges avec d'autres réalisateurs, collaborateurs, producteurs ou amis.
Tout au long de sa carrière, il crée des réseaux humains dont certains membres se retrouvent d'un réseau à l'autre. La liste complète serait impossible à citer, même si certains noms viennent immédiatement en tête dans le plus parfait désordre, tels François Reichenbach, Anatole Dauman, Pierre Braunberger, Joris Ivens, André Heinrich, Raymond Vogel, Miguel Littin, Yannick Bellon, Jacques Ledoux, Ghislain Cloquet, Isild Le Besco, Arielle Dombasle, Michael H. Shamberg, Simone Signoret, Yann Le Masson, Michel Legrand, Haroun Tazieff, Thoma VuilleCosta-Gavras, Max Moswitzer, Nicole Védrès, M. Chat, Jean-François Dars et Anne Papillault, etc...
Mais certains d'entre eux ont parfois laissé une description personnelle de Chris Marker qui nous permet de saisir un peu mieux l'homme tout autant que l'artiste.

An Unsent Letter... (2012)

Depuis le décès de Marker, un film est sorti sous format dvd : To Chris Marker. An Unsent Letter d'Emiko Omori, décrit en ces mots :

"Through interviews with Marker's many colleagues and admirers, Omori lovingly describes a man whose preference for personal privacy has rendered him perhaps cinema’s most famous enigma : a man who is his works."

Sont donc interviewés David Thomson, Tom Luddy, Marina Goldovskaya, Janet and David Peoples, Daniel Potter, Dirk Kuhlmann, Erica Marcus, Margaret Collins, Michael H. Shamberg, Peter Scarlet, Tim Greenberg, Tomoyo Kawai tenancière du bar "La Jetée" à Tokyo ou encore Guillaume-en-Egypte. Autant de témoignages et d'hommage offerts à celui qui a marqué tant d'individus. On peut retrouver plus d'information sur ce film et sa genèse sur son site chrismarkermovie.com

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Yves ANGELO

(Né le 22 janvier 1956)
Yves Angelo est un directeur de la photographie (Nocturne indien et Germinal notamment) et un réalisateur (Le Colonel Chabert et Les Âmes grises). Il collabora à plusieurs reprises avec Chris Marker.

"Quand avez-vous découvert les films de Chris Marker ?
Dans les écoles de cinéma, La Jetée était un film incontournable, et Marker un cinéaste important. J'ai étudié ce film lorsque j'étais à l'école Louis Lumière, plan par plan. La Jetée, c'était une façon différente de faire du cinéma, différente de ce qu'on nous apprend à faire. Jouer avec le matériau. Quelle sensation peut provoquer une image. Son regard dépassait la simple histoire. Il la transcendait. Grâce à son regard, il transcendait le côté inanimé. Il le rendait mouvant. Comme un peintre. Il y a quelque chose qui était de l'ordre de l'aimantation. Comme quand on est devant une toile ou un poème, qu'on peut aimer sans forcément comprendre. Je ne connaissais pas de camarades cinéphiles qui ne s'intéressaient pas à son travail. Je crains qu'aujourd'hui dans la jeune génération, ses films soient moins connus.
Quand l'avez-vous rencontré ?
Je l'ai rencontré en 1984, grâce à Pierre Lhomme qui m'avait recommandé à lui. C'était pour son documentaire consacré à Simone Signoret, Mémoire pour Simone. Chris Marker était un homme complexe. Mais j'étais à l'aise avec lui. Il parlait peu, s'exprimait sur le plateau en métaphore. Il vous amenait à être créateur à sa demande. J'ai été émerveillé par le travail avec lui. Il n'y avait aucun rapport hiérarchique, il laissait beaucoup de liberté. D'apparence, il était froid, fort, rugueux. Mais il donnait envie de servir sa pensée.
Pour ce documentaire, je me souviens qu'il voulait un plan où la caméra devait suivre un fil de téléphone, pendant qu'il avait choisi pour la bande son un extrait sonore d'un des films de Simone Signoret. Le plan devait être long car l'extrait était conséquent. Je me demandais à quoi devait ressembler le fil du téléphone pour que le mouvement dure assez longtemps. Devait-il être droit? Torsadé? Sinusoïdale? A quel moment? Il m'a dit «Sentez la voix à travers ce fil». Il m'a laissé imaginer comment il devait être en fonction de la voix. J'ai donc adapté le plan à sa demande mais il m'a laissé une totale liberté pour le mettre en place.
Contrôlait-il le plan ainsi mis en place ?
Non, il ne regardait jamais le cadre dans l'œilleton de la caméra. Il me disait «on va filmer ces bobines de films». Mais il ne me disait pas si ce devait être un plan large ou serré, quel objectif je devais utiliser. Il me laissait choisir alors que j'étais un inconnu pour lui. Ce genre de situation peut être intimidant. On peut avoir peur de mal faire et craindre que le réalisateur soit déçu quand il verra les rushes. Mais pas avec Chris Marker.
Vous avez ensuite tourné avec lui le clip Getting Away with it d'Electronic (composé de Bernard Summer de New Order et Johnny Marr des Smiths)…
Le tournage de ce clip s'est déroulé de la même façon. Nous étions à Londres où nous filmions le groupe en train de jouer. Il ne me disait pas quel plan faire et je me retrouvais pourtant à faire un plan que je n'aurais jamais imaginé seul. Il diffusait l'envie et l'intérêt de faire. Ça m'a beaucoup marqué. Pour lui l'important n'était pas de faire, mais de chercher. Souvent au cinéma on fait l'inverse, il faut absolument faire tout de suite.
Je me souviens qu'il voulait que des feuilles d'arbre tombent dans le studio au ralenti. Je lui demandais «la caméra doit-elle suivre les feuilles ? Les laisse-t-on sortir du champ ?» Il m'a répondu : «Je ne sais pas comment les feuilles vont tomber, alors faites ce que vous pouvez». Il ne contrôlait pas. Les maladresses, le hasard faisaient partie du travail. Il ne cherchait pas à montrer c'est-à-dire décrire. Tout avait un sens à condition que le regard soit juste.
A quoi ressemblait l'équipe de tournage ?
Pour le clip, il y avait un assistant, un électricien et moi, et c'est tout. Chris Marker aimait faire des choses dans son coin avec des équipes petites. Il détestait le bruit. Sur le plateau il ne fallait pas parler. Tout se résolvait simplement pourtant.
Parlez-nous du personnage…
C'était un solitaire. Il ne s'intéressait pas au succès ou à l'insuccès. Il était dans le plaisir de faire, pas dans le paraître. Il se moquait de ce qu'on pensait de lui sans jamais avoir l'air hautain pour autant. Tout cinéaste doit rêver d'avoir une telle liberté. Mais il était très sévère avec lui-même."

Témoignage paru dans l'article de Nicolas Rioult, "A la rencontre de Chris Marker", Première, 20 novembre 2013.

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Catherine BELKHODJA

Actrice, réalisatrice et éditrice franco-algérienne, Catherine Belkhodja est la mère de Maïwenn, d'Isild Le Besco et de Jowan Le Besco, tous trois acteurs, réalisateurs et scénaristes.
Egérie de Chris Marker, à partir de 1986, Catherine Belkhodja parsème dès lors toute l'oeuvre de Marker, en particulier dans Silent Movie  (1995) ou Level Five  (1996), film produit par sa société KAREDAS et dont elle est la protagoniste principale.

Catherine Belkhodja a accordée plusieurs interviews dont une à Luc Chessel et Bamchade Pourvali pour la revue Vertigo (n° 46, p. 67-69), le 11 juillet 2013, intitulée "Tu es ma muse", et une autre, reproduite ci-dessous, à Nicolas Rioult, en novembre 2013, que ce dernier nous a gentiment transmis, ce dont nous le remercions ici.

"Chris Marker, de son vivant, ne voulait plus que certaines de ses œuvres soient montrées. Avec cette rétrospective Marker qui montre tout, ses volontés sont un peu cavalièrement piétinées non ?
Je n'ai pas encore reçu la programmation, mais il est assez probable que parmi les films sélectionnés, figurent certains films que Chris ne souhaitait plus montrer pour de multiples raisons. Parfois tout simplement parce qu'avec le recul, il ne voyait plus les choses sous le même angle, ou du moins, il ne souhaitait plus présenter les choses de la même façon.
D'autres fois, c'était par simple excès de modestie : Chris a toujours été d'une grande exigence. Il retravaillait ses mots, ses phrases, ses tournures avec beaucoup de soin et d'acharnement. Quand il avait des réserves, il ne voulait pas montrer son travail. Mais quand il condescendait à montrer ce qui lui semblait mauvais ou inachevé, il y avait aussi des choses très belles.
Ainsi, Chris m'avait toujours interdit de lire son roman. Pour lui, c'était un péché de jeunesse sans intérêt. Je n'avais même pas imaginé désobéir car j'aurais eu l'impression de pénétrer dans la pièce interdite de Barbe Bleue. Je n'avais même jamais cherché à me procurer cet ouvrage.
Un jour pourtant, j'ai été confrontée à un dilemme : le festival de la Charrière, à Lille, m'avait invitée à présenter des films de Chris et à animer des débats, ce que j'avais accepté avec plaisir. Mais Louisette Fareniaux, la fondatrice et directrice du festival, tenait beaucoup à ce que je lise un extrait de ce roman : Le Cœur net.
J'étais partagée entre l'envie de découvrir cet ouvrage et l'injonction de Chris. Je m'en étais sortie avec une pirouette : "l'ouvrage était épuisé et je n'avais aucun exemplaire du livre". Mais rapidement, j'ai reçu en cadeau un très joli exemplaire relié en cuir. Je n'avais pas d'autre alternative que d'accepter, sous réserve de choisir un extrait qui me conviendrait. J'avais assuré mes arrières en négociant à l'avance que si je n'aimais pas l'ouvrage, je lirais alors un extrait du Dépays. Ce superbe texte devait déjà faire l'objet d'une lecture avec Etienne Sandrin au Couvent des Bernardins, au printemps prochain.
J'ai donc lu Le Cœur net  dans le train pour Lille. J'étais stupéfaite et bouleversée de découvrir dans cette œuvre de jeunesse, tous les ingrédients déjà de son futur film : La Jetée.
Chris a totalement sous-estimé son premier - et dernier - roman.
Ce qui me choquerait davantage, en revanche, ce serait de découvrir dans l'exposition des documents plus confidentiels. Certains constituaient des pistes de travail et n'étaient pas faits pour être montrés dans l'état. Chris était un chercheur et un créateur infatigable. Certains secrets de cuisine doivent rester ses secrets, mais je me réjouis que ses films soient montrés à un public plus élargi, lorsque c'est dans l'esprit du respect de l'auteur. A signaler, l'excellent travail cet été de Potemkine, lors de la nouvelle sortie du Joli mai, auquel les exploitants ne croyaient pas beaucoup, mais qui a passé la barre des 50 000 entrées.
Avant de rencontrer Chris Marker, connaissiez vous ses films ?
Je connaissais bien sûr La Jetée, mais je ne connaissais pas encore toute la cosmogonie Chris Marker.
Dans quelles circonstances l'avez-vous rencontré ?
J'avais à peu près 16 ans quand je l'ai rencontré Chris. Dominique Païni, qui n'était pas encore directeur de la Cinémathèque française, organisait régulièrement des stages d'initiation au cinéma pour PEUPLE ET CULTURE. Ces stages accessibles à tous les jeunes permettaient de découvrir des œuvres rares, suivies de débats avec les auteurs. C'était absolument formidable. On habitait tous dans une grande maison, on voyait des films magnifiques et on en parlait ensuite pendant des heures. Je retrouvais l'ambiance passionnée de la Cinémathèque d'Alger que j'avais fréquentée durant toute mon enfance. Chris était venue présenter L'Ambassade et nous avions longuement parlé ensuite de son film et du Château de l'araignée d'Akira Kurosawa. Chris a toujours eu une fascination pour Shakespeare.
Je l'ai vu disparaître sur sa moto et nous ne nous sommes pas revus pendant quelques années.
J'ai de nouveau entendu parler de lui en 86, au moment de l'émission TAXI que je présentais sur FR3. J'interviewais des personnalités dans une grande Cadillac noire. Le producteur de l'émission, Philippe Alfonsi, était très fier de m'annoncer que nous avions un véritable fan : c'était Chris. Cela m'avait fait vraiment plaisir. Chris a toujours été un spectateur actif, donnant son avis très tranché sur les programmes.
Nous nous sommes retrouvés par le biais de la philosophie : je participais à la création du journal La légende du siècle dirigé par Roland Castro. A l'époque, je cherchais à vendre le concept d'une émission de philosophie avec mon co-auteur Marc Sautet, avec qui nous avions lancé les premiers cafés philo. Nous avions présenté le concept à plusieurs producteurs mais aucun ne voulait se lancer dans cette aventure. J'avais contacté aussi Jean-Pierre Ramsay, qui avait invité Chris à se lancer dans L'Héritage de la chouette
J'ai revu Chris par hasard à la Bastille et nous ne nous sommes plus quittés ! On se promenait dans Paris et Chris me montrait les endroits qu'il aimait. On parlait beaucoup et on s'écrivait. Lui, des lettres très courtes, toujours pleines d'humour et d'esprit. Moi, des lettres très longues. Il tenait beaucoup à ce que je participe au banquet de Platon dans L'Héritage de la chouette. J'y fais effectivement une furtive apparition, vêtue d'une longue robe où je ponctue les discours d'une note pincée sur une lyre. Chris avait fait beaucoup de photos sur cette première séquence et me disait, en riant, que Simone Signoret avait commencé sa carrière en faisant une brève apparition dans Les Enfants du Paradis L'Héritage de la chouette est un monument qui a failli disparaître car Onassis s'opposait à sa diffusion. Chris a dû faire un procès, qu'il a gagné, pour sauver sa série.
Que disait-il de vous ?
Chris me disait que pour lui, j'étais une héroïne évadée d'un livre de Giraudoux. Il me disait que mes dialogues étaient du pur Giraudoux.
Il est vrai qu'avec lui, je me sentais totalement sur la même longueur d'onde et qu'il m'avait adoptée telle que j'étais. Nous parlions de grandes choses mais beaucoup aussi des petites choses, qui n'intéressent pas toujours les communs des mortels. Je lui envoyais mes textes, mes images, mes photos. Par la suite, il m'a appris à tenir une caméra et je lui ai montré mes premiers bouts d'images. Des reportages ou des petits films inclassables avec de longs monologues assez loufoques sur la vérité ou sur les nuages. Des petites démonstrations philosophiques avec une certaine rigueur logique, à la limite de l'absurde. Chris aimait beaucoup ces petits films et il en avait intégré certains extraits dans Zapping Zone. Il aimait regarder mes rushs et me faisait l'honneur de les pirater parfois, car Chris revendiquait le pillage comme un art à part entière. Il m'a aidée aussi au montage de quelques vidéos, des petits films d'art assez confidentiels, que je présentais dans mes expositions. Il tenait beaucoup à conserver mes originaux, car il craignait qu'ils tombent dans la quatrième dimension.
Par la suite, Chris m'a fait tourner dans Getting away with it.
C'était une commande du producteur Michael H. Shamberg, très connu dans la sphère underground new-yorkaise. Il aimait faire appel à ses nombreux amis artistes pour des projets toujours un peu décalés. D'ailleurs lui-même est devenu curateur, puis artiste lui aussi avec des expositions collectives dans différentes capitales du monde, regroupées sous le label TURTLE. Michael avait invité Chris à faire le clip de New Order, mais Chris voulait sortir des studios, et ne pas se contenter de filmer le groupe en studio. Comme Chris adore les animaux, il avait choisi de filmer dans le Château de Sauvage, au milieu des émeus et des wapitis.
Le chef opérateur était Yves Angelo. Ce n'était pas simple pour moi de me laisser approcher par les émeus. Par la suite, le groupe a commandé un autre clip car les musiciens pensaient que dans le clip de Chris, on ne les voyait pas assez…
Sur ma demande, Chris avait établi une autre version du clip, colorisée et stylisée. C'est une version assez difficile à trouver. Ma copie est restée dans les cartons de Chris et fait partie des objets qui ont mystérieusement disparus et qu'on recherche encore. Par la suite, Chris a utilisé certaines images du Château de Sauvage pour les intégrer dans Level Five.
En 1996 sort Level Five, dont vous êtes l'héroïne, Laura, où vous passer tout le film assise, filmée en gros plan, à vous adresser à la caméra…
Il avait eu l'idée de ce projet dix ans auparavant et avait égaré l'unique exemplaire du scénario dans un restaurant. Il avait perdu aussi l'envie de ce film. Quand nous nous sommes revus, il m'a dit qu'en me retrouvant il avait eu immédiatement l'intuition qu'il avait trouvé "Laura" et cela lui a redonné de l'impulsion pour reprendre ce projet auquel il tenait beaucoup. (En dehors de La Jetée, qui était sa première fiction, il voulait faire Level five, qui serait sa deuxième et dernière fiction). Il m'a proposé le rôle quelque temps plus tard, tout en me demandant de patienter car j'étais encore trop jeune pour interpréter ce personnage. Pour moi, "demain" a toujours été très improbable : je ne vivais qu'au présent ! Par la suite, j'étais très surprise et ravie quand ce projet de film s'est finalement concrétisé.
Nous avons commencé à tourner ensemble avec la maison de production KAREDAS que nous avions créée ensemble. Au début, c'était un tournage très rudimentaire : nous avions peu de moyens car nous n'avions pas encore trouvé de coproducteurs, mais c'était aussi un choix esthétique de la part de Chris. Par la suite, ARGOS et ASTROPHORES sont venus compléter la production du film, qui a ensuite été acheté par ARTE.
C'était un peu étrange car Chris avait aussi commencé à tourner en même temps quelques images pour Silent Movie  (une installation vidéo en noir et blanc) et je ne faisais pas toujours la distinction entre les deux. Au tout début, Chris ne me montrait pas ses images. Les choses se sont décantées au fur et à mesure, quand Chris m'a donné les premiers textes…
Silent Movie était une installation en hommage au cinéma et aux actrices du cinéma muet. J'étais la seule personne contemporaine parmi les images du passé. J'ai pu voir pour la première fois les extraits de Silent Movie  sur grand écran, lors de la soirée d'hommage à Chris organisée en septembre 2012 par la Cinémathèque. C'était pour moi totalement bouleversant, et absolument magique…
Nous étions en tête à tête sur le tournage. Cela reste pour moi des moments très privilégiés. C'était difficile d'avoir une vue d'ensemble. Chris aimait le secret et ne me disait pas grand chose sur le synopsis. Il me parlait de l'histoire du Japon, de la guerre, me demandait de regarder des films comme Laura  d'Otto Preminger… Mais je ne connaissais rien de l'histoire du film.
Quand je tourne, j'aime bien savoir comment sera le cadre, ça me permet de concentrer mon énergie en sachant quelle partie de moi sera à l'image. Là je ne savais pas. Il était très directif. J'étais cadrée très serrée et je ne pouvais pas beaucoup bouger. A la fin, il acceptait de me montrer le cadre pour que je puisse adapter mon jeu en fonction du cadrage.
Parfois, je regrettais de n'avoir pas de personnage vivant en face pour me donner la réplique. Mais il fallait que je m'adresse à mon "amour mort" et Chris ne voulait pas faire diversion pour faire exister ce lien indélébile entre une femme et son amour défunt. Je craignais de lasser, d'agacer les spectateurs. Je me disais que les gens supporteraient de me voir ainsi quelques minutes, mais pas plus.
A l'époque, Solveig Dommartin avait reçu des critiques sévères car on lui reprochait son omniprésence à l'écran dans Jusqu'au bout du Monde  de Wenders. Je m'attendais à subir les mêmes pamphlets…
Level Five  parle du web, des avatars, de se perdre sur la toile… Comme on dit, c'est un film précurseur, non ?
Chris a toujours été en avance. Il vivait sobrement et fuyait les fêtes et les mondanités, mais ne savait pas résister aux gadgets. La technologie le fascinait. Il devenait comme un petit garçon devant un nouveau gadget ou un nouvel ordinateur. C'est lui qui m'a offert mon premier minitel. Il m'envoyait des lettres, mais ce n'était pas mon truc à l'époque : je perdais les codes, les lettres. Cela l'agaçait beaucoup car j'ai perdu ainsi beaucoup de son courrier.
Vous ne saviez rien, ou peu de choses du film. Quelle fut votre réaction lorsque vous l'avez découvert fini ?
Le film m'a bouleversée. C'était un véritable coup de poing. L'histoire est terrible : tous ces gens qui se sont suicidés… La réflexion sur le pouvoir des images et la manipulation qui en découle est très subtile. Quand j'ai découvert le film, j'ai fait totalement abstraction de ma présence dans ce film. J'étais une spectatrice comme les autres, en état de choc. Mais j'ai de suite adoré ce film. La seule scène qui m'avait un peu gênée, c'est celle où je dialogue avec le perroquet. C'était une improvisation assez longue au départ. Pendant le montage, j'avais demandé à Chris de la raccourcir un peu, et il avait fini par accepter. On entend la voix de Marker, ce qu'il ne faisait plus depuis des années, laissant des comédiens lire ses textes… J'avais insisté pour qu'il prête sa voix au film. Sa voix sourde est très touchante et donne de l'émotion au film. Dans ses autres films, il préférait engager des acteurs avec une excellente diction.
La fin du film est assez prémonitoire. J'ai appris la mort de Chris de façon totalement accidentelle, par une amie qui m'envoyait ses condoléances sur Facebook. J'ai cru à une mauvais blague, car depuis longtemps, les gens affirmaient qu'il était mort ! Mon premier réflexe a été de l'appeler sur son téléphone pour lui demander s'il était mort. C'est absurde je sais… Je me suis adressé à Chris comme l'héroïne de Level Five  parle à l'homme absent. J'espérais qu'il me dise "non, je ne suis pas mort" ou bien "je suis mort mais ne t'inquiète pas". J'ai découvert sa mort dans les journaux. C'était assez cruel. Chris avait prévu que cela se passerait ainsi.
Les textes écrits par Marker (de son roman aux livrets de DVD, aux voix off de ses films bien sûr) sont merveilleux, c'était un grand écrivain. Il refusait qu'on le considère ainsi. Il me disait qu'il lui fallait des mois pour écrire deux phrases. Il y revenait tout le temps pour couper / réordonner / raccourcir, le contraire de moi qui écris souvent d'un seul jet. Quand on me demande de retravailler le texte, souvent je précise des choses et le texte est encore plus long ! Il disait qu'en fusionnant, nous pouvions aboutir au bon équilibre !
Chris Marker ne voulait pas parler pour laisser ses œuvres s'exprimer. Sauf qu'à force d'absence et de propos savamment distillés, d'avatars divers et variés, de pseudonymes, il a fini par devenir un personnage fascinant et quasi-romanesque. En avait-il conscience ?
Sa manie des pseudos vient de la guerre où, m'a-t-il dit, il fallait changer d'identité souvent, par sécurité. Je pense aussi qu'il avait beaucoup de pudeur et n'aimait pas étaler sa vie privée. Il avait une relation très spéciale avec notre chat Guillaume-en-Egypte. Il lui pardonnait quelques vanités !
Au départ, c'était involontaire. A la fin c'est devenu un peu une coquetterie. Je crois qu'il était content de cette médiatisation dans la dernière période (disons à l'époque de la sortie de Chats Perchés en 2004), mais il ne l'assumait pas.
Il a beaucoup voyagé surtout dans la première partie de sa vie.
Ensuite, laisser courir ce bruit était bien commode pour écarter ceux qui l'importunaient. Il aimait laisser courir le bruit qu'il était à Moscou ou ailleurs, alors qu'il était à Paris. Et puis ça laissait un répit pour répondre aux trop nombreux messages laissés sur son répondeur.
Parlez-nous de lui…
C'était un homme passionné et passionnant, curieux de tout. Un véritable humaniste, en phase avec son siècle. Il parle autant aux personnes de sa génération, qu'à de jeunes lycéens. Il avait une culture immense et une mémoire stupéfiante, avec toujours des anecdotes incroyables à raconter. Mais il savait aussi être à l'écoute de ses amis. Par contre, il ne supportait pas les bavardages et pouvait devenir assez tranchant pour renvoyer ceux qui le dérangeaient. Il avait une notion très précise du temps, car il avait encore beaucoup d'idées à exploiter et craignait de ne pas pouvoir terminer ses recherches.
Il savait précisément ce qu'il voulait. Ainsi pour Level Five, il avait conçu lui même le dossier de presse et l'affiche et ne supportait pas la moindre modification quand il donnait des consignes. Sinon, il pouvait se fâcher très fort. Quand il se fâchait avec quelqu'un, c'était irrémédiable. Ce n'était pas quelqu'un de facile, il avait ses têtes. Il pouvait faire preuve d'une ironie glaçante. Il pouvait être très véhément pour des choses simples. Quand il entendait à la TV des présentateurs faire des fautes de français, il envoyait des missives sévères à la chaîne.
Il s'est fâché deux fois avec moi, mais heureusement cela n'a pas duré longtemps!
Sur son répondeur, son message disait "si vous avez quelque chose de gentil, d'amusant ou d'essentiel" et souvent, il ne décrochait pas : il attendait de savoir ce qu'on avait à lui dire.
Le téléphone n'arrêtait pas de sonner. On lui proposait de venir à des festivals, participer à des jurys. Les gens se bousculaient pour lui montrer leur film, leur scénario. Mais il refusait de donner son avis car il n'avait pas le cœur de dire ce qui lui semblait mauvais. Cela ne l'a pas empêché de défendre spontanément des films qu'il aimait comme Demi-Tarif  d'Isild Le Besco, par exemple. Mais il fallait que ça vienne de lui.
Il était très sensible à la gentillesse, au charme, à la discrétion, qualités qu'il retrouvait chez les japonaises. Il était plus indulgent pour les femmes dont il appréciait la compagnie. Pour les hommes, il les supportait plus difficilement : il fallait qu'ils soient vraiment brillants intellectuellement ou artistiquement, ou qu'il ait besoin de travailler avec eux.
Comment pourrions-nous définir Chris Marker ?
Il me disait : "je suis un voyageur".
Et vous, comment le voyez-vous ?
Je l'ai toujours considéré comme un génie, un homme curieux de tout avec une très belle âme. J'ai eu beaucoup de chance de le rencontrer et ce que nous avons partagé ensemble reste très précieux. Nos rires, nos souffrances aussi parfois, nos espoirs, nos projets et même nos indignations. Il a emporté avec lui une partie de mon être. Il me manque terriblement."

Propos recueillis par Nicolas Rioult et remis en forme par Catherine Belkhodja.
Nicolas Rioult nous a gentiment autorisé sa publication complète. Nous l'en remercions vivement ici.
Ce témoignage est paru, tronqué, dans son article, "A la rencontre de Chris Marker", Première, du 20 novembre 2013.

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Antoine BONFANTI

(26 octobre 1923 - 4 mars 2006)
Ingénieur du son, chef opérateur du son et mixeur, tels sont les fonctions d'Antoine Bonfanti. Il a travaillé sur plus de 400 films, dont ceux de Jean Rouch, Jean-Luc Godard, Alain Resnais et bien sûr Chris Marker, avec qui il a collaboré sur La Jetée, Le Joli mai, Si j'avais quatre dromadaires, Le Mystère Koumiko, Loin du Vietnam, La Spirale, La Solitude du chanteur de fond, Sans soleil, pour n'en citer que quelques uns. Marker lui rendra hommage dans un texte écrit pour la Cinémathèque de Corse (Porto-Vecchio) qui l'a publié en le 29 octobre 2003, et qui est réédité dans La Lettre de l'AFC, n° 153 (avril 2006) et dans Images documentaires, n° 59-60 (2006-2007), p. 7-10.

"Le Joli Mai
J’ai rencontré Chris vers 1956, quand je suis entré aux auditoriums SIMO comme assistant. C’est là que j’ai travaillé au mixage de Description d’un combat. J’ai quitté SIMO en 1961 pour tourner au Cambodge un film de Marcel Camus, L’Oiseau de paradis. Quand je suis revenu, Chris m’a proposé Le Joli mai. Notre collaboration a commencé là. Ce sont aussi mes débuts comme chef. Avant je ne faisais que des travaux d’auditorium.
Pour Le Joli mai, il a fallu tout inventer. C’était la première fois que le son sortait vraiment dans la rue. Il y avait eu l’expérience de Jean Rouch dans Chronique d’un été, et celle de Mario Ruspoli dans Regards sur la folie. Mais quand Truffaut a fait Les Quatre cents coups, il a tout doublé. Pareil pour Godard et Muriel de Resnais. Il n’y avait pas de son direct. Il a fallu inventer une perchette, trouver des micros qui conviennent à cette nouvelle situation, des bonnettes anti-vent… On a essayé les premiers micros émetteurs qui ont été une catastrophe parce qu’on ramassait tout sauf ce qui était en face de nous. De temps en temps je mettais un micro-cravate à l’interviewer, j’allais à la perchette, et je faisais des signes cabalistiques à Pierre Lhomme quand je trouvais que le plan était trop large et qu’on entendait pas bien. Notre grande trouvaille, ça a été le retour d’écoute pour le caméraman. Pierre avait un seul écouteur pour pouvoir entendre en même temps de l’autre oreille, comme il cadrait avec un œil en gardant l’autre ouvert. Ça lui donnait plein d’idées. Quand j’allais chercher un petit son à côté, il l’entendait, ouvrait l’œil, et si c’était intéressant, il y allait. Par la suite, il ne pouvait plus se passer du son: si j’oubliais le retour au casque il était fou de rage. Ça a été une grande innovation dans le rapport image/son. C’était ça, l’esprit du Joli mai.
Chris était spectateur et n’intervenait que quand les gens n’étaient plus dans la ligne du film. Si on regarde les films de Marker et ceux de Ruspoli, on voit vraiment la différence : dans ceux de Ruspoli, il y a autant de personnages que de personnes interviewées ; dans ceux de Marker, c’est une ligne. Les questions posées étaient extraordinaires. On commençait pas "Qu’est-ce que ça vous fait d’être en paix pour la première fois depuis 100 ans ?" - c’était juste après les accords d’Évian. Les gens répondaient : "Mais on n’a fait que trois guerres !" On leur parlait du Riff, des guerres coloniales, mais pour eux ce n’était pas des guerres. Et les autres questions portaient sur l’argent, le communisme, le bonheur et les autres. Avec ça, on allait très loin.
La Jetée
Pendant la postproduction du Joli mai, je passais souvent au montage, mais Chris refusait de me montrer les images. Un jour, en revenant d’un tournage au Cambodge, j’étais passé par Hong Kong où j’avais acheté le premier Pentax 24x36. Quand Chris a vu mon appareil, il était enthousiaste : il travaillait toujours au 6x6, donc il devait recadrer ses photos. Il me l’a emprunté et quatre mois plus tard, il est arrivé avec La Jetée. Il me demandait de passer le voir, j’arrivais à la salle de montage – clac!, il arrêtait la table pour que je ne voie rien, on parlait et j’allais faire des sons. Le cœur qui bat au moment de l’expérience sur Davos Hanich, c’est celui de Jean Ravel, le monteur, qu’on a obligé à courir dans l’auditorium et à faire des pompes pour l’enregistrer.
Loin du Viet-Nam et SLON
Là, j’étais responsable de tout le son. La bande sonore n’a pas coûté un sou, à l’exception du tirage optique. J’ai obtenu l’auditorium gratuitement, toutes les nuits pendant trois semaines, et j’ai fait toutes les ambiances et le mixage. Pour les repiquages, avec René Levert, on est allé voir tous les copains, pour leur soutirer deux minutes par-ci, une demi-heure par là. C’était pas mal !
Et puis, liée au film, il y a eu la création de SLON, avec Inger Servolin, Paul Bouron, André Delvaux, Chris bien sûr, et d’autres. On avait décidé que la société serait belge pour que le négatif ne soit pas saisi en cas d’interdiction, mais on s’est aperçu qu’à cause de ça on ne pouvait pas bénéficier des subventions françaises. Alors après cinq ou six ans on a créé ISKRA, société française, qui nous a permis d’avoir droit aux primes à la qualité. Quand au groupe Medvedkine, c’était une sorte d’association, pas une société de production, créée pour donner la parole à ceux qui ne l’avaient pas et qui voulaient parler, en leur disant qu’on ne pouvait pas le faire à leur place. Ils avaient une table de montage, on envoyait une monteuse, mais c’était eux qui prenaient les décisions, et à la fin je me chargeais du mixage.
Le Mystère Koumiko
Au début, ceux qui voyaient le film disaient qu’il fallait doubler Koumiko, parce qu’on ne la comprenait pas. Mais c’est une Japonaise qui parle français, c’est déjà formidable qu’elle parle comme ça ! On a essayé trois ou quatre Japonaises pour la doubler, mais c’était atroce. Si on enlève sa voix, il n’y a plus de film, parce que c’est bâti autour d’elle. "Mais qui donc a inventé les yeux bleus ?", qui peut le dire comme elle ? J’ai dit à Chris : "Par-contre on va doubler tes questions parce qu’on ne les entends pas bien". Ça a pris trois semaines avant qu’il accepte de se mettre devant un micro !
La Spirale
C’est le film qui m’a posé le plus de problèmes. Il a fallu que je refasse des voix en studio pour pouvoir garder un peu le son des manifs avec le commentaire. Quand il y a un million de manifestants qui crient sur l’écran et que vous devez placer un commentaire de Marker dessus, il faut pouvoir l’entendre, vous ne pouvez pas jouer comme avec Godard. Un jour, on tournait avec Jean-Luc dans une usine de voitures ; il m'a dit : "Je veux qu’on sache comment les ouvriers travaillent : mets l’aiguille à +3 !" Ensuite il a fallu ajouter un commentaire. Il m’a interdit de toucher au son ! Pour Une femme mariée, même chose : "Je veux entendre trois mots – Mais pourquoi tu as écrit une page et demie de texte ? – Parce que quand elle parle, elle marche bien. – Bien Jean-Luc." Alors on attendait qu’un train passe pour dire "Moteur !", et il était content : il avait son bruit et ses trois mots. Mais avec Chris, c’est impensable de faire pareil : dans ses commentaires, il n’y a pas de mots sans importance.
Marker au travail
Je n’ai jamais vu les images des films de Chris, avant qu’ils soient totalement finis – exceptés les rushes du Joli Mai. Même sur Si j’avais quatre dromadaires, les comédiens disaient leur texte sans voir les images. Marker avait déjà fait son montage et écrit un commentaire. J’enregistrais les voix et il chronométrait.
Le montage, c’est le royaume de Chris… Il y a une monteuse en titre mais il passe ses nuits à faire les croix sur les bandes. Au mixage, on ne répète jamais avec lui. On se lance, et il attend toujours l’accident, la petite chose inattendue. Par exemple dans Le Joli mai, sur une scène de manifestation, je me suis trompé d’ambiance : on voyait des policiers qui couraient dans tous les sens, et au lieu de mettre une ambiance rue, j’ai mis un gazouillement d’hirondelle. Chris a dit aussitôt : "On ne touche plus à rien!" Avec lui, on peut tout faire, rien n’est impossible."
(15 janvier 1997)

"Témoignage d’Antoine Bonfanti : ingénieur du son" (recueilli par Olivier Khon et Hubert Niogret), Positif, n° 433 (mars 1997), p. 92-93

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John BURGAN

(Né en1962)
John Burgan est un écrivain et un documentariste indépendant anglais, dont les thèmes de prédilection sont la quête d'identité, le sentiment d'appartenance et la migration.
Son film le plus connu est sans aucun doute Memory of Berlin2, réalisé en 1998, un documentaire autobiographique sur la vie d'un enfant adopté. Il fera dire à Chris Marker :

"I guess it's about time for the First-Person film to become a genre by itself, and for historians to wonder why, as it had been at the roots of literature, it took so much time to the cinema to catch up. I don't take any risk at predicting Memory of Berlin  will be considered as a milestone in the road of the film-essay."1

De son côté, John Burgan revendique clairement l'influence de Marker dans son travail, comme le montre très bien Manfred Hulverscheidt dans son film John Burgan an Chris Marker (Briefe an Idole 01) (1998), diffusé sur la 3 SAT, le 29 octobre.

Notes
1 Cité dans 10 Jahre Villa Aurora 1995-2005, Berlin: Dölling u. Galit, 2005
2 Memory of Berlin, John Burgan, Allemagne, 76', couleur. Des extraits du commentaire ont été publiés dans le magazine Grand Street: Berlin, New York, n° 69 (1999)

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Dominique CABRERA

Dominique Cabrera est une réalisatrice et actrice française. Elle a également enseigné le cinéma à La Fémis, à Harvard et à l'université Panthéon-Sorbonne.
En août 2021 Александр Бирюков, s’entretient avec Dominique Cabrera à propos de Chris Marker. Cet entretien, accompagné de 3 autres, sera publiée sur le site cineticle.com en septembre 2021. Voir ici


AB : Quand avez-vous pour la première fois découvert le travail de Chris Marker, et dans quelles circonstances ? Quel est le premier film que vous ayez vu ?

DC : Le premier film que j’ai vu de Chris Marker c’est Lettre de Sibérie quand j’étais au lycée. Je me souviens de la découverte troublante de l’induction que produisait le commentaire sur mon interprétation des images. Je n’avais pas conscience à ce moment là de son œuvre de cinéaste. C’est en voyant plus tard La Jetée puis Le Joli Mai que j’ai commencé à m’approcher du mystère Marker.

AB : Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec lui à ISKRA ?

DC : Je n’ai pas collaboré avec lui à proprement parler à ISKRA. J’étais une jeune réalisatrice qui faisait ses premiers films et lui était le fondateur, le mystérieux Chris. Des boites de films sur les étagères de la rue Albert, des fax avec ses dessins affichés, des affiches, des titres de films, des échos de conversations, de souvenirs d’Inger Servolin et bien sûr les films, en particulier les films «collectifs» Loin du Vietnam, A bientôt j’espère, Classe de lutte, Rhodia 4x8. On ne s’est d’abord pas rencontrés mais je sentais, je savais qu’il aimait mes projets. Il était venu à la fête de fin de tournage de Chronique d’une banlieue ordinaire. Le film fini, Vivianne Aquili le lui avait montré et lui avait demandé un titre en anglais, il avait proposé Suburbians et il avait écrit sur le film. J’avais fait la connaissance de ses amis du CPPPO, de Besançon. Ils m’avaient parlé de lui et j’avais compris, senti, éprouvé dans leurs vies l’impact intime et politique de leurs rencontres. On avait regardé Le traineau-échelle et les Ciné-tracts. Un jour Chris nous avait accompagnés à Besançon. C’était une année ou je filmais beaucoup avec une petite caméra et j’avais essayé de le filmer en douce. On avait regardé des films au Kursal. Il avait pris la parole dans la salle depuis sa place. On avait diné tous ensemble et il y avait eu des conversations entre eux tous auxquelles j’avais assisté. On était rentrés tous les deux en train et on avait parlé. Il y avait eu aussi «2084», son film pour le centenaire du syndicalisme qui m’avait passionnée. Je voyais des personnes que je côtoyais, techniciens, amis d’Iskra, syndicalistes, devenir des figures, des personnages de ce film fait avec les moyens du bord, beaucoup de poésie et une grande liberté d’inspiration. C’était aussi les années du Tombeau d’Alexandre et de Sans soleil.

AB : Pouvez-vous nous dire quelques mots sur l'homme qu'il était ? Quels souvenirs gardez-vous de lui ?

DC : J’avais été voir les films avec «la famille». La perception que je garde de lui, c’est celle d’une forte présence, tendue, concentrée, entièrement focalisé sur ce qui se passait ici et maintenant et comme en retrait pourtant. Charnel et désincarné. Comme s’il venait effectivement d’une autre galaxie. J’étais aussi frappée par l’égalité véritable qu’il mettait dans les rapport avec les autres.

AB : D’après vous, peut-on qualifier Marker de cinéaste documentariste ? Si non, comment caractériseriez-vous l'axe de son travail et de son œuvre ?

DC : C’est un artiste, un auteur, un chercheur. Je ne chercherais pas à le qualifier d’un mot. Je suis touchée par son engagement. Engagement politique bien sûr mais surtout engagement de vie. Engagement extrême qui dévore tout. Il y a dans son œuvre des courants divers dont la diversité même me passionne. Son œuvre est véritablement protéiforme. Je suis frappée par son audace à changer, à essayer, à recommencer, à reprendre sans fin, les mêmes images, obsessions, questions sous des angles et dans des formes différentes. Il remet sans cesse l’ouvrage sur le métier. Comme s’il n’envisageait jamais sa propre fin, ni de fin à son œuvre. Elle se boucle et se reboucle dans un labyrinthe infini.

AB : Quel est le film de Marker que vous préférez ? Merci de bien vouloir expliquer votre choix en quelques mots.

DC : La jetée bien sûr est une œuvre extraordinaire de ce point de vue là mais pour moi c'est comme si elle m'était par de la le temps destinée. un de mes cousins s'est en effet reconnu avec ses parents dans le cinquième plan du film. C'est possible que ce soit lui que Marker ait filmé puisque nous sommes arrivés d'ALGÉRIE en 62 par Orly, lieu du film. Et je me surprends à me chercher dans le film... Je suis en train d'écrire et de tourner un film essai consacré à cette histoire. Je me plonge dans œuvre de Chris bien sûr...



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Benigno CACERES

(16 octobre 1916 - 15 octobre 1991)
Charpentier de formation, Benigno Cacérès prend le maquis dans le Vercors durant la Seconde Guerre mondiale, où il découvre le plaisir de la lecture et participe à la formation des résistants. Il y rencontre Joffre Dumazedier avec qui il fonde l'association Peuple et Culture qu'il finira par présider au début des années 1970 et au sein de laquelle Marker fait ses premières armes.
Benigno Cacérès participera en 1952 au tournage d'Olympia 52  et co-éditera la même année Regards neufs sur le mouvement ouvrier  avec Chris Marker.

"Chris Marker ne se contentait pas de diriger notre revue commune DOC. Cet homme secret et imprévisible, jamais vêtu comme les autres, toujours prêt à défendre les cause difficiles ou perdues d'avance, menait de front de multiples activités où la littérature, la musique et surtout le cinéma tenaient une large place. Il arrivait souvent dans notre local avec un extraordinaire gadget rapporté d'un de ses nombreux voyages à l'étranger, ou accompagné d'un personnage sortant réellement de l'ordinaire. En ce lieu, cela représentait un tour de force"

Bénigno Cacérès, Les Deux rivages, Paris: Librairie François Maspero, 1982, p. 27

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Catherine CADOU

Catherine Cadou intervient dans l'oeuvre de Chris Marker à partir de A.K.  (1985), comme elle le précise dans un texte-hommage posé sur le tumblr de la Cinémathèque française dédié à Chris, et que nous reproduisons ci-dessous.
Après avoir traduit plus de 250 films japonais (dont la moitié de classiques inédits, presque tous sortis en salle et/ou au moins, au festival de Cannes, elle continue à sous-titrer films et documentaires tout en ayant réalisé deux films (Kiba Tokyo Micropole en 2005 et Kurosawa La Voie en 2011). Catherine Cadou continue, par ailleurs, ses activités d'interprète japonais-anglais-français. C'est par la voie de l'interprétation qu'elle a rencontré tous les cinéastes japonais contemporains dont elle sous-titrait parallèlement les films. Elle a aussi traduit deux romans, quelques nouvelles et deux pièces de théâtre.

"LE GRAND MANEKI NEKO
En 1984, quand j'ai rencontré Chris pour la première fois, je ne savais pas qu'il allait me faire un cadeau pour lequel je lui voue une reconnaissance éternelle : il m'a donné la boussole magique du sous-titrage invisible grâce à laquelle j'ai pu naviguer dans les quelques centaines de films japonais que j'ai traduits depuis lors. J'étais interprète et il devait faire la connaissance de Kurosawa Akira car il était pressenti pour réaliser le film sur le tournage de RAN. C'était, à la fois, son désir personnel et celui du producteur français de Ran, Serge Silberman. La rencontre au sommet eut lieu au pied du Mont Aso, dans l'île de Kyushu où, sous un ciel de plomb, Kurosawa tournait les grandes scènes de bataille du film. Les deux génies ont échangé peu de mots mais l'affaire fut conclue en moins d'une heure et, trois mois plus tard, à la fin de l'automne, Chris s'est installé sur les pentes du Mont Fuji avec une équipe réduite et moi, dans les bagages. Kurosawa avait posé ma présence comme condition à ce tournage qui a duré trois semaines. Ce furent trois semaines d'un ballet étrange et merveilleux où ces deux hommes immenses et pourtant furtifs comme des chats ont joué leur jeu dans le plus grand respect l'un de l'autre. Et puis, quand AK fut prêt à être sous-titré, Chris m'a confié la responsabilité de mettre la dernière touche aux sous-titres qu'il avait préparés au cours du montage.
Il m'a donné trois consignes qui restent gravées en moi comme les "Tables de la Loi": l'image, l'image, l'image. Pour ne pas la masquer, ne faire que des sous-titres d'une seule ligne. Pour respecter le rythme des dialogues, mettre autant de scansions dans la ligne que dans les paroles prononcées. Et pour rendre la traduction invisible, respecter l'ordre de l'énoncé japonais qui est la base du jeu de l'acteur, en veillant à garder la place des noms de personnes ou de lieux que l'on ne traduit pas. S'ils viennent en début de phrase, toujours s'arranger pour qu'ils soient en début de ligne… Tout ceci semble simple mais, à l'usage, s'est révélé être un défi parfois insensé. Tant pis ! Pour Chris, il fallait faire l'impossible. Et le plus étonnant, c'est que cela devenait possible. Ce fut une telle réussite qu'après AK, on m'a confié le sous-titrage de Ran et j'ai aussitôt enchaîné sur une fabuleuse farandole de films de tous les grands ou petits maîtres du cinéma japonais. Ce que Chris m'a appris, c'est qu'en respectant absolument l'image, on approche au plus près de la place du dialogue qui, par essence, est invisible. Mais, à la différence du son ou de la musique, il peut et doit être traduit car il apporte, à sa manière, une foule d'informations. C'est le paradoxe du sous-titrage fait pour être lu par tous mais vu a minima. Contribuer au film mais s'effacer dans l'image. Orfèvre de l'alchimie du sens et de l'image, Chris fut ainsi un maître incomparable dans cette initiation.
Il aimait les MANEKI NEKO, ces chats aguicheurs et accueillants qui invitent les passants à entrer dans un lieu inconnu. Je suis sûre qu'il s'est réincarné en MANEKI NEKO invisible pour veiller sur nous tous, explorateurs orphelins d'un monde à déchiffrer sans fin."

Catherine Cadou, créditée «l'Indispensable» dans AK

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Kim CHAPIRON

(Né le 04 juillet 1980)
Kim Chapiron est un réalisateur et scénariste français. Fils du graphiste Kiki Picasso, frère de la chanteuse et styliste Mai Lan, il est le compagnon de Ludivine Sagnier. Fondateur, avec Romain Gavras, du collectif Kourtrajmé, où l'on retrouve Mathieu Kassovitz ou Isild Le Besco. Il a réalisé Sheitan  (2006), auquel Marker participe le temps d'un clin d'oeil, Dog Pound  (2009), La Crème de la crème  (2014) ou encore Guyane  (2017).

"En 1986, j'avais six ans, j'ai emménagé dans un immeuble à Paris avec mes parents, et Chris Marker habitait là, au premier étage. Avant de connaître ses films, je l'ai donc connu comme un voisin, un voisin collectionneur de hiboux et de chats. C'était un personnage de l'immeuble.
En grandissant, il est devenu un guide incroyable. J'allais souvent chez lui avec Romain [Gavras] lui emprunter des cassettes, notamment de films fantastiques. Je l'ai rencontré souvent dans les années 90, à l'époque où est sorti Level 5.. Moi j'essayais de comprendre le film, avec mes armes de jeune garçon.
Avec Romain, nous avons commencé à tourner des courts métrages et nous lui montrions. Il était exigeant mais encourageant. Par contre, il nous renvoyait à la figure nos courts-métrages violents ou préférait ne rien dire. Il était plus sensible à ceux avec de l'humour. Mais il était toujours bienveillant malgré nos provocations, bienveillant comme le sont ses films. Il était ouvert à la discussion, on pouvait rester des heures chez lui à parler. Il était d'une culture impressionnante, une montagne de savoir. Nous étions très impressionnés et je me souviens qu'avant de se rendre chez lui, nous savions que nous allions passer un moment privilégié.
Le film de lui qui m'a le plus marqué fut Le Fond de l'air est rouge. Ce traitement des couleurs, cette façon d'analyser l'information, ne jamais figer les images. Depuis, dans tous mes films, je case une scène où les personnages regardent ce film. Ce sera d'ailleurs le cas dans le prochain.
Une chose qui m'a marqué dans ce qu'il m'a dit, c'est que si on mettait des choses très personnelles dans ses œuvres, on touchait forcément des gens. Un détail, insignifiant pour la plupart du monde, trouverait un jour une résonance auprès d'un spectateur."

Témoignage paru dans l'article de Nicolas Rioult, "A la rencontre de Chris Marker", Première, 20 novembre 2013.

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COSTA-GAVRAS

(Né le 13 février 1933)

Réalisateur Franco-Grec, il est également scénariste, producteur, acteur. Parallèlement à tout cela, il est depuis 2007 le président de la Cinémathèque Française.
A l’occasion de l’exposition consacrée à Chris Marker en 2018 à la Cinémathèque Française , « Chris Marker, les 7 vies d’un cinéaste », France Culture diffuse une "Nuit Marker". C’est lors de cette émission que Costa-Gavras s’entretient avec Abane Penaranda au sujet de Chris Marker. Il y aborde leur rencontre, les liens entre Chris Marker et Simone Signoret, la « Famille de la Roulotte », son Chris Marker, le poète, les voyages. (Web)
Lire également « Va où il est impossible d’aller » Costa-Gavras. Les éditions du Seuil, 2018.
Dans des pages très émouvantes, Costa-Gavras y évoque sa dernière rencontre avec Chris Marker.

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Régis DEBRAY

(Né le 2 septembre 1940)

Ecrivain, philosophe et haut fonctionnaire français.

Engagé aux côtés de Che Guevara dans les années 1960, il est emprisonné et torturé à plusieurs reprises en Amérique du Sud. Il devient par la suite un écrivain prolifique. 

En 2016 il écrit ces mots dans son "Carnet de route, Ecrits littéraires" Gallimard. Collection Quarto.

Jean Rouch m’avait présenté l’écrivain-cinéaste, qui me conseillait de lire Giraudoux, tout en travaillant avec Alain Resnais (Pour Les statues meurent aussi). Avec sa caméra-stylo, ce poète précieux et futuriste, qui dirigeait au Seuil la collection « Petite Planète », réconciliait La princesse de Clèves avec Flash Gordon. Globe-Trotter monacal, catho voltairien, voyeur invisible, la tête d’Henri Michaux : lèvres serrées, yeux d’Asiate, glabre et zen. L’oeil au Rolleiflex, et toujours hors champ lui-même, il accompagna Maspero en Bolivie pour me tirer d’affaire. Le chat était son fétiche, l’emblème a fait école sur les murs de Paris. Et pour cause : « Jamais un chat n’est du côté du pouvoir », faisait-il observer. Quand je lâchai un jour à la radio que les chats contrairement aux humains, n’avaient pas de grands-parents, il glissa sous ma porte un dessin furibard.

Mon premier professeur de planète était un tendre dont seul le masque était sévère.



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Florence DELAY

Ecrivaine français, Florence Delay est membre de l'Académie française depuis 2000. Elle a notamment écrit des romans, des essais, du théâtre (en collaboration avec Jacques Roubaud) et a traduit des textes de langue espagnole. Au cinéma, elle est devenue célèbre pour avoir incarné Jeanne d'Arc dans Le Procès de Jeanne d'Arc  de Robert Bresson en 1962.
Elle enregistrera également la voix off de Sans soleil  (1982).
Dans son entretien accordé à Jean-Baptiste Para en 2013, Florence Delay revient sur certaine aspect de sa collaboration et de son amitié avec Chris Marker.

"... Mes liens avec Chris Marker se distendent au moment où il est agacé parce que je suis nulle en informatique et que je ne sais pas lire le CD-Rom Immemory (1997), parce que je n'ai pas d'adresse électronique, alors que de son côté, il adopte vite ce moyen pour correspondre avec ses amis.
[...] Quand il habitait place Dauphine, dans l'appartement que lui avait laissé pendant quelques années Simone Signoret, il était entouré, comme dans un laboratoire, d'appareils auxquels je ne comprenais rien. Après la mort de Simone Signoret, il lui a fallu déménager et il s'est installé dans le quartier de Charonne. Je suis encore allée le voir rue Courat, c'était le même appartement [appartenant à Costa-Gavras], avec très peu de meubles et quantité de machines. Il me semble qu'il a ensuite déménagé une autre fois, au rez-de-chaussée du même immeuble, mais à ce moment-là je ne lui rendais plus visite.
[...] Dès mes années de lycée, j'ai beaucoup entendu parler de Chris Marker par mon amie Natacha Michel. Natacha l'avait rencontré à l'âge de 14 ans (1955) par l'intermédiaire de son père, le cinéaste André Michel. Chris a été pour elle une sorte d'éclaireur. Elle lui a dédié ses premiers textes. En 1962, il voulut la faire tourner dans Le Joli mai, mais comme elle bougeait tout le temps en parlant, il dut renoncer à ses paroles... Quoiqu'il en soit, un jour Natacha est venue avec lui rue de la Harpe, où j'habitais alors. C'était fin 1967 ou début 1968, au moment où Régis Debray avait été condamné à trente ans de prison par le tribunal de Camiri, en Bolivie. Il fallait organiser un comité de soutien. C'est donc à cette époque-là que je rencontre Chris Marker. Ensuite, comme dit Natacha, elle me le lègue. Il disparaît de sa vie, il reste dans la mienne. Le premier roman de Natacha Michel, Ici commence (1973), qui raconte l'histoire d'une très jeune fille dont la mère est concierge et qui tombe amoureuse de l'énigmatique locataire du 6e étage, est en réalité un portrait romanesque de Chris Marker. C'est un très beau livre. Evidemment, Marker ne l'a pas supporté. Natacha a repris le thème dans "Vie d'un homme illustre", l'un des neufs brefs romans d'Impostures et séparations (1986), mais en situant les choses à un autre moment, quant Marker devient en quelque sorte illustre dans son ingognito, son propre théâtre, les adresses qu'il ne donne pas, son côté insaisissable, son mystère en somme."

Jean-Baptise Para, "Chris Marker. Le Rêve des fuseaux horaires réconciliés. Entretien avec Florence Delay", Europe, n° 1014 (octobre 2013), p. 317-324

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Rémo FORLANI

(12 février 1927 - 25 octobre 2009)
En 1985, Rémo Forlani offre un témoignage amical sur Chris Marker, publié dans son ouvrage Changement de bobines. La nouvelle donne du cinéma français  coécrit avec Sylvie Biscioni.
Rémo Forlani est un ami de la première heure et, pourrait-on dire, de toujours de Chris Marker et d'Alain Resnais, avec qui il collabore dans leurs premiers films. On le trouve ainsi mentionné au générique de Lettres de Sibérie  (1958), et on lui doit entre autre les scénarios ou commentaires de Toute la mémoire du monde  (1956), du Mystère de l'atelier quinze  (1957) ou encore des Chemins de la fortune  (1965).

"Et aussi et bien évidemment: Chris Marker.
Qui - et c'est capital - porte le même T-shirt que le jeune Kasso.
Lequel T-shirt est à l'effigie d'un animal, hélas disparu, qui avait nom "Guillaume en Egypte". C'était la crème des chats. Il avait été l'hôte de la famille Kassowitz, puis avait décidé de se fixer chez Chris.
Tout cela supposant, vous l'avez compris, un certain voisinage.
Eh oui: comme à la Belle Epoque, il y eut quelques futurs grands noms des Arts et Lettres pour cohabiter au "Bateau lavoir", il y a un immeuble parisien dans lequel vivent actuellement et Mathieu Kassowitz et Chris Marker.
Pas question d'en dire plus. C'est top secret.
C'est l'Homme invisible en plus discret, Chris.
D'où ce portrait.

Quand je l'ai rencontré, en 1945, il venait de publier son premier roman.
Puis il publia le premier bon livre sur Giraudoux et fit faire leur première randonnée en moto à un nombre incroyable d'avenantes adolescentes qu'il appelait des "tounettes".
Suivirent le premier film décent et provo sur l'Art nègre (Les Statues meurent aussi co-réalisé avec Alain Resnais), le premier film sur la Chine de Mao telle qu'elle aurait mérité d'être (Dimanche à Pékin), le premier film démontant la mécanique du cinéma de propagande (Lettre de Sibérie), le premier poème de science-fiction cinématographique (La Jetée)...
Peu de gens peuvent se vanter d'avoir connaissance de l'intégrale de Chris Marker. Son antre - dans l'immeuble où se tapissent Kasso et quelques autres membres de la Secte des Adorateurs de Guillaume en Egypte - Marker y entrepose des machines bizarres et seul, tout seul, déguisé en Brando d'Apocalypse Now  (mais maigre) - il invente le cinoche de demain. Plus sur pellicule. Il n'en est plus à la caméra des frères Lumière, lui.
Pour beaucoup de jeunes cinéastes c'est un maître, un prophète.
Pour moi, c'est tout bêtement quelqu'un. Dont j'attends toujours des choses neuves, surprenantes."

Rémo FORLANI, Changement de bobines, Paris: Denoël, 1985, p. 87.

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Jean-Michel FRODON

(Né le 20 septembre 1953)
Jean-Michel Frodon, de son vrai nom Jean-Michel Billard, est tour à tour journaliste, critique, photographe, enseignant et historien du cinéma.
Invité au festival Ambulante de Mexico, en 2013, à l'occasion d'une rétrospective Chris Marker, il accorde une interview à travers laquelle il revient sur ses relations avec l'artiste. 


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Thierry GARREL

(Né en 1949)
Thierry Garrel, Chevalier des Arts et des Lettres français, a rejoint le Département de recherche de la télévision française (ORTF) à l'âge de vingt ans et est devenu chef de la Division documentaire et auteurs junior de l'Institut National de l'Audiovisuel (INA). De 1987 à 2008, il a été chef du département de film documentaire de La Sept et ARTE France. Dans ce poste, il a développé de nombreux programmes hautement remarqués et la célèbre collection "GRAND FORMAT" qui a coproduit et diffusé plus de 200 documentaires internationaux de longue durée primés. Depuis 2009, il travaille comme consultant, ainsi que sur des projets documentaires, et offre son expertise dans des ateliers et des séminaires.
Il est un des principaux producteurs des films de Chris Marker de la dernière période. A l'occasion de la programmation de French French pour le 16ème festival DOXA de Vancouver, tenu du 4 au 14 mai 2017, et qui proposait une mini rétrospective des films de Chris Marker produits par Arte, Thierry Garrel a accordé une très longue interview à Marc Glassman, éditeur de la revue POV, de Toronto, qui paraîtra en deux parties sur le web, les 6 mai et 13 juin 2017.
Nous la reproduisons ici car elle offre un regard unique sur l'oeuvre de Chris Marker, tout en remerciant Thierry Garrel de nous avoir transmis le lien.
Notons, auparavant, une autre interview accordée par Thierry Garrel dans le même cadre le 3 mai 2017 et publié sur le site de l'ambassade de France au Canada.

[1ère partie]

POV [Marc Glassman]: Your series looks at many aspects of Marker: the essayist, the traveler, the appreciator of art and film but, above all, there is an interest in politics.
Thierry [Garrel]: Let me explain the raison d’être of my choice of films. I was looking for a short retrospective, because DOXA is not that huge a festival. Two years ago, when Dorothy Woodend, Director of Programming, asked me to do the FRENCH FRENCH programme, it had to be with a small number, maybe seven or eight films. Dorothy had also mentioned the idea of showing selections from [the seminal French documentary series] "Cinéma, de notre temps", as a retrospective. We decided, in the end, to have two "chapters" — seven new films and seven "Cinéma, de notre temps". Last year the subject of the retrospective was Claire Simon, with the addition of some new films. This year we said, again, let’s make it double — seven new films and a seven-film retrospective. [For the retrospective,] I thought Marker was a good idea, but how could I select seven films from Marker’s prolific work? And then it came to me that the seven films would be the ones I was directly involved in the production of, and that was it!
Actually the first time [I worked with Marker], I was not even 25 years old. I had discovered La Jetée  was co-produced by the Service de la recherche, and had screened at the Cinématheque française in the early ‘60s. In 1970, I was in charge of the catalogue of all the productions or co-productions of the Service de la Recherche of ORTF, [The Office de Radiodiffusion-Télévision Française] that had been run since its creation by Pierre Schaeffer. For 10 years there had been a kind of big mess in their cinématheque, and I had to make a catalogue of it. That’s how I discovered La Jetée  and reviewed it for my catalogue. Also while I was working at Service de la Recherche, I discovered [in the early ‘70s] À bientôt, j’espère  and The Train Rolls On. I started a TV magazine called Hiéroglyphes [which aired in 1975], in which I used a clip from The Train Rolls On, with Medvedkin explaining his ciné-train, and we used Letter from Siberia also, the famous sequence with the three different commentaries. I was already, you might say, walking around Marker.
After the “cleaning” of ORTF following "68", Manette Bertin, a TV producer, had joined the Service de la Recherche — the ultimate "safe haven" in the early ‘70s — and I became kind of her right hand. In ’74-’75, with the break up of ORTF, she became Programme Director of the creative department of INA [Institut National de l’Audiovisuel] and I became her deputy. I was in charge of "the independent documentary" that was just being born in France. She was making very interesting innovations in television, even if it was within a very special research department of a very special body. She was instrumental in connecting the creative cinema industry with TV, with cineastes like Godard, Rene Allio, Akerman, etc. One day she said, "Okay Thierry, we’ve received this project with Chris Marker" — and it was Le Fond de l’air est rouge / A Grin without a Cat. I was not in charge of the whole thing, the contract and the budget, but she said, "You’re the contact. You go to Marker." So I went to him.
POV: Radical politics is at the core of A Grin without a Cat. What kind of response do you expect from viewers in Vancouver who are unlikely to know very much about what happened in the Sixties ?
Thierry: That’s a very good question, because I don’t know how it will be received here today. I hope it will help people think. That’s exactly the role of the film, and it’s the theme of almost all of Chris Marker’s films — the mark that history makes on the present. The film, to me, is a tombeau, with the double meaning the word has in French. It’s a tomb, a grave, but at the same time it is a kind of poetic composition to honour something or somebody; it’s a kind of tribute. That’s why he would use the word tombeau later in the original French title of The last Bolshevik, Le Tombeau d’Alexandre. To some extent both The Last Bolshevik  and A Grin without a Cat  are tributes and mournings for me.
POV: A mourning for radical politics.
Thierry: But what kind of radical politics? Because the first part of the film, Le Fond de l’air est rouge, Les mains fragiles, is before and after Vietnam, Paris, Prague, Mexico, Berkeley — the world situation and the rise of a new Left. What is the alternative to the promised death of communism? The film was released in ’77, and he was foreseeing the death of communism 12 years later. He was trying to have a comprehensive reflection — though subjective, highly subjective — of a moment of strong hope, and then disillusionment or failure. So there is a kind of sadness in it.
POV: Yes, a sense of melancholy.
Thierry: Melancholy, yes, but at the same time, he was using all these bits and pieces of footage about struggles that he had gathered himself, using the network that he had around the world, to think about it — to think and share his thoughts. And that’s what the film is.
POV: My assumption has always been that, for Marker, Le Fond was a summation of his years with SLON (Société pour le lancement des oeuvres nouvelles}. It was during the SLON period, one when he was part of a film collective, that Marker made the acquaintance of Medvedkin. What was it about the Medvedkin that so inspired Marker during those collectivist times? What did he take away from the idea of the ciné-train ?
Thierry: Well, he understood it with complexity, and not in black and white — that’s why he made Le Tombeau d’Alexandre / The Last Bolshevik  as post-mortem letters addressed to his friend. But Marker was interested in the ciné-train because of this kind of connection with the workers he experienced himself, through the use of cinema as a very strong means of both communication and expression, between filmmakers and the real people. This is the kind of connection that he had tried making using cinema at the Rhodiacéta occupied factory, À bientôt, j’espère. The idea that cinema can be a tool in service of the construction of socialism —- that was Medvedkin’s ciné-train, with the good side and the bad side. The good side being direct participation of the workers in reflections about their working unit. The bad side, well, it was a very new kind of propaganda train, you could say.
Of course, Medvedkin was much more unique than that, as you can see through his wonderful movie Happiness. But then he was sort of taken by history later into becoming a kind of Soviet cinéaste. That’s the sad part of the story, and he died with the death of communism. That’s why Marker sends letters one-to-one to Medvedkin. Of course, he is taking advantage of that one-to-one mode of address, to tell the story of the life and work of Medvedkin, but, in writing to Medvedkin, he is at the same time making an assessment of the whole Soviet story post-mortem. Marker is making his own mourning, not only about the hopes, but also the commitment to betrayed values. Marker was not a compagnon de route [a fellow traveler], you would say; he was too much a free thinker to be a compagnon de route, as some have accused him to be, which is totally unfair. He was a cinéaste constantly reassessing his commitments.
POV: You produced The Owl’s Legacy. How did it come about ?
Thierry: The Owl’s Legacy was a turning point, because it was just for TV. For the first time, Marker was not making a film to be shown in the theatre; he was making a series for television. It’s a bit like when Rossellini had this big project of Encyclopedia with Italian TV — let’s make intelligent programming for TV. I will tell you the story of it. First, he had a producer, Jean-Pierre Ramsay, who had this contact with the Onassis Foundation, that wanted to partially finance a series about Greece. So when the project came to me on the 31st of December ’86 – the day I was just starting my job as Head of Documentary at La Sept — the concept was already there: the shadow of ancient Greece cast over our civilization. This was clear. So he started to work, with a kind of bricolage, using small video tools and making interviews all over the world. He took the job very, very seriously. He was very committed to it. And he was committed to it because it’s joyful wisdom — the gay science, die freundliche Wissenchaft, the Nietzschean attitude: let’s share and think together. A kind of introduction to the potentialities of a new kind of television. Because the 13-part series talks about music, logomachy, democracy, philosophy, mythology, sexuality — everything is in it. It could have been a kind of programmatic introduction to a new culture of television. And it was the beginning of La Sept, so it was a kind of programmatic programme, or a kind of landmark you might say, a pierre blanche of La Sept which two years later would become Arte. While at INA, Manette had made the connection with Godard, for example, who directed for television Six fois deux. It’s the same idea: public television should connect with the great creators of our time in order to provide the best programmes to the general viewers.
POV: I wanted to ask you about photography, and of course you have a nice entry point because you were also very involved with Remembrance of Things to Come. Marker had a way of telling a story through photographs in cinema, and of course has done his own photography work as well.
Thierry: What’s interesting precisely in Le Souvenir d’un avenir / Remembrance of Things to Come is that those photographs are not his photographs. The project actually started 10 years before, in 1990, at the beginning of Arte, when Yannick Bellon, who is an interesting fiction director in her own right and was a documentary pioneer in the early ‘50s, wanted to make a film about her mother, Denise Bellon, a great photographer and pioneer of photojournalism. Her sister, Loleh Bellon, the great actress, was supposed to do the voiceover.
Yannick intended to have Claude Roy, Loleh’s husband, write the commentary. He was an intellectual, a poet, and a writer of Gallimard. But they died, one after the other — the mother in ‘97, then Loleh, then Claude Roy. And meanwhile, because Yannick Bellon went bankrupt in ’91 with a fiction film that she had made, she could not comply with the contract that she had signed with ARTE. So I kept postponing it for 10 years — the longest contract I have ever postponed. And of course she had no way to finish it — but then Marker came to help.
POV: Did you suggest Marker, or did she approach him ?
Thierry: No, they were connected through Loleh and Claude Roy. Marker knew Claude Roy were friends; they had fought on the same side of the barricade. So Marker did the job also as a tribute to Claude Roy, who could not write it, and to Loleh, who could not do the voiceover. We discussed it with Marker. He had the pictures and had to invent a way to edit them and to make it into a story through the commentary. So it’s not only Yannick’s film; it became his film. Both names are in the titles because she was part of the project, but it’s a highly Markerian film. Of course he also made it and accepted it because he knew Bellon’s work, which covers exactly what he was really interested in: the ‘30s and the surrealists, therefore the war, therefore the colonies, and Vietnam. From his start in the early ‘50s or late ‘40s, he had this idea, which is the idea of La Jetée: to decipher the future through an image of the past. The past and the future are connected.
POV: I feel that is what you’re doing with the whole curation. The past and the present should be connected. Perhaps you can say this in your own way, but it seems to me that we are now in a highly charged situation, politically, and I’m wondering whether, in your choices, you’re allowing people to connect to Marker not just as a wonderful essayist and filmmaker, but as someone who has reflected on politics in the past and who also has a relationship to what is going on right now and into the future.
Thierry: All his work talks about today and for today which is the hallmark of great art. I would say that [the programme] is not really a choice; it’s a found object. I have no intention. I am here in Vancouver; we are away from France. I’ll be able to talk about my experience, both as a viewer at that time, and also having been involved in the production, because viewers are always interested and Marker is not present anymore to reply. And then, you see that dimension of politics. Take Si j’avais quatre dromadaires, for example, which is kind of brilliant — the way he’s jumping from one place to another and changing gears with the commentary — if I had needed to commit to a list of films at a certain point, then it would have been among the seven films. And you would hear the political dimension even in Si j’avais quatre dromadaires, because Marker goes to Korea, he goes to China, he goes to Russia. He’s a world traveller, not for tourism; he’s a world traveller to assess the situation of the world. And certainly he’s not sent by any media; he’s not sent because he has a role in an institution or an organisation. He just travels, as a citizen of the world, to have a first-hand, very subjective knowledge of what the world is about and where the world is going.
POV: I show that short scene to my class every year from Letter from Siberia, where he repeats the same footage three times, with a different voiceover each time: one from a Soviet perspective, the second from an American and the third, objective.
Thierry: It’s wonderful, because you see he was already bringing, with a very witty example, the first real lesson about what commentary is. He could have done it with editing, too, like the Kuleshov effect.
POV: Exactly, it is the Kuleshov effect.
Thierry: And here, if you add the commentary, you can manipulate. It’s not only about propaganda; it’s also about what I say, and how I establish trust with you, the viewer — because I could cheat. So, in Letter from Siberia, sixty years ago, he made us aware of it as viewers. He was already pointing to the incredible power of documentary cinema, and the incredible potential creativity in it, not to manipulate, but to share complex thoughts. And sharing complex thoughts about the world is key, today. It was appropriate to the situation in the ‘60s and the ‘70s, but also today at the beginning of the 21st century.

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[2nde partie]

POV: You first worked with Chris Marker on Le Fond de l’air est rouge [ A Grin Without a Cat] . What took place during your initial contact with him ?
Thierry: I was representing INA [Institut National de l’Audiovisuel], and we had to make a financial agreement with him. So I went to the 12th district, which is on the edge of Paris, and he was working in a big space…not exactly a loft. It was a former sewing shop, or something like that. Up on the second floor was a huge room with all these squeaking floorboards. In the centre was an Atlas 16mm editing table, with hanging bits of film nailed over bins. Chris Marker was there, wearing white gloves. He was a kind of prince. I was quite impressed, of course, and we chatted about what he was editing there. I said, "oh, you’re editing in reversal" — he had all this material from various sources that he had gathered from all over the world. Anything could easily get damaged. I asked him what would happen if the material were destroyed accidentally, and he just replied, with a smile, "Well, in that case, c’est l’Histoire qui déchire."
And then we went on; we had to discuss this agreement. It was his [third] contact with television — he had made La Jetée  [The Jetty], which was coproduced with Service de la Recherche de l’ORTF prior to my engagement there, and then À bientôt, j’espère  [Be Seeing You] that showed on French Television Second Channel on February or March 1968. You could feel through À bientôt, j’espère  that something was rising — a spirit, or a spark of something new. This film Le Fond de l’air est rouge was made after the blackout which occurred after ’68, when French television was completely cleaned up of turbulent artistic producers, first by de Gaulle and then by Pompidou. After ’75, with Le Fond de l’air est rouge, I became Chris Marker’s contact with television.
POV: How did you find him as a person ? Was he easy to talk to ? What was he like ?
Thierry: He was a very nice person, very conscientious, very tongue-in-cheek, very sharp thinking, always checking who you were. In conversation, because of how we established the course of it, he was …not suspicious, but demanding, I would say. But we were exchanging thoughts very freely; we never had any arguments.
POV: And you knew each other for many years.
Thierry: Yes, but it was spaced, and far between, at the same time. The next time I had direct contact with Marker for a production was the 31st of December 1986. I was reading the pile of projects that had been sent to the newborn [French cultural and education channel] La Sept, which had been created just a few months before and where I had just been appointed. I discovered Grèce, 12 mots, which would become L’Héritage de la chouette, and instantly decided to co-produce the series.
In between we might have had exchanges on the phone — I don’t really remember. I had his phone number, and when you would phone him, you would hear an answering machine with a Star Trek voice, as if you were calling Captain Kirk. You were invited to leave a message, but he would pick up the phone after three seconds. He was just vetting the calls. Since it was years between productions — you’ve seen the timeline between L’Héritage de la chouette  and Le Tombeau d’Alexandre  and Une journée  and Chats perchés — it became kind of a tradition that once or twice a year I would call him, and it would go through the answering machine and we would make an appointment. It would always be around 11am, because he slept late — and then I would go to his shop there in rue Courat.
We would spend two, three, four hours or sometimes longer, depending on my working schedule, just chatting. He was addicted to this red pepper honey vodka, the Ukrainian one, Khortytsa. Very good, actually. So you would start with one, and if you were a good vodka drinker, it would go on and on for a second or third and sometimes a fourth. Not that we were drunk at all — just chatting. When he trusted people, he was the most witty, agreeable, cultured, serious person — all at the same time, as you would expect from somebody, who had incredible knowledge and connections around the world.
He was very secretive, but at the same time he had built a world network. Even when he wasn’t traveling that much any more, he was envisioning the project of the vingt-quatre fuseaux, the 24 time zones, as early as in the ‘70s, so that things would be connected everywhere on the planet. When we heard the news of his death on his 91st birthday, and that there would be a cremation three days later in Paris at 2pm, at Père Lachaise cemetery, the network, of course, knew that. There were 60, maybe 65 people in the network — some of them in Japan, some of them in Russia, some of them in France, some of them in the U.K., some of them in the U.S. — and we all had a toast with the Ukrainian vodka at the same time. Of course, Vancouver is in the most western zone, so I had to drink that toast at five in the morning! I had to drink more than one, because one is too little. In Japan it was very late in the day, when you can have vodka before going to bed.
POV: What would your conversations be about ?
Thierry: Everything. À bâtons rompus. Of course, we talked about the state of the world, as any concerned citizen of the world would, or the local news, or a cultural discovery, or a book, or anything dealing with politics and culture in a very wide sense. About the media and the internet too, which he was practising intensively. And because it was once or maximum twice a year, it was a kind of a ritual, but a non-formatted ritual. We’d just say "Okay, I’m free, I’ll come," and we would switch from one subject to another, with no agenda. And generally, when I would go there at 11, I would at least be free until 3 so that I wouldn’t have to rush.
POV: He was, of course, a very private individual.
Thierry: Marker was private in his way not because of shyness, but because he was not interested in social life, the outside social life. He never came to the screenings, for example. When we organised the great screening of his last film, Chats perchés  [The Case of the Grinning Cat], I negotiated with the Centre Pompidou to have it there, and I convinced the Centre Pompidou that Monsieur Chat would make the giant yellow cat on the plaza. So there was a gigantic cat — it was 54 metres tall — and everyone, to enter the screening, had to wear a cat mask. I was there with my wife, Patricia; we were getting married the next day. But he didn’t show up at the screening! He never acted as Chris Marker in social rituals; he was Chris Marker in his personal relationships with people.
POV: And what about his cat, Guillaume ?
Thierry: The story of Guillaume-en-Égypte is key. He was a fantastic cat, you know, this kind of high European cat — big, and really orange. Beautiful, very nice. That cat died at the turn of the century, so suddenly, Marker was in mourning. That’s why Guillaume is very present behind his obsession with the yellow cat that was the inspiration for Chats perchés. While he was in mourning, he was following signs, kind of like Borges in The Garden of Forking Paths, where the character is following strange signs in a city — one here, one there — until the seventh sign, where he arrives, which is the place where he’s going to be killed. It’s a little like La Jetée, but in space instead of time.
I visited him in 2001 or 2002, shortly after Guillaume’s death, and I discovered that he had already entered into a kind of surrealist game with this yellow cat that had appeared on Paris walls and seemed to take part of his orange-cat mourning. He showed me a booklet with photos he had taken. It had months of activity already when he told me, "Look Thierry, it’s very strange — I’ve seen that cat here, and that cat there…" He had started to create these stamps with cats, that he was sending to himself at a real address but with names of famous cineastes.
So he had started a kind of lonely mourning game. He had not found Monsieur Chat yet at that time. But he had already some material that he had shot. When I came back to my office in ARTE, I started talking with one of my deputies who was in charge of a late-night slot, La Lucarne, and we said, "Why don’t we ask him to make a film about this?" I phoned him and said, "I’m going to come with Luciano and we’re going to chat about this idea." And so we chatted, the three of us, and he said, "Okay, okay." So we made the proposal. He already had bits of it everywhere, all this documentation and games that he had started — on which he had worked intensively, for weeks. Then he went on shooting the diary, and using this kind of bricolage, as he had done when he was editing Le Fond de l’air est rouge, in his big loft. He was always a bit of a bricoleur; none of the films were ever a big production of any kind. But he turned really into a bricoleur in the early ‘90s because of the video tools, which he used without even really being concerned with the beauty of it or the aesthetic. This was the beginning of small Hi8 analog video cameras, the very basic video tools. He was playing with the equipment —- always going around with his small camera, shooting the demonstrations in the city, the metro etc.
I must say his shop on rue Courat was incredible. It was on the first floor. A tiny, tiny part was a living space — small kitchen, small sitting room and a bed — and the rest was just like, again, Captain Kirk or Jules Vernes’ Captain Nemo’s cabin — machines everywhere. And then he moved to the ground floor, the one you can see from outside in the famous picture of the two cats.
POV: Is that the one you see in Agnès de ci de là Varda ?
Thierry: Yes, that’s the one. It was an atelier; it was not really an apartment. When you went inside, there were TV screens everywhere, broadcasting Russian, Japanese, Chinese, American programmes. He was always inside this kind of room: he created bookshelves as walls, with his books and videotapes. And we would talk about books. He was very happy to share culture. It’s always a pleasure, because culture is a fantastic metaphor to talk about life, and metaphor is key, in Marker’s work, for communication. Lichtenberg, my master, says something like — my translation — "There are metaphors that the police should keep an eye on." That’s something, for example, that we shared.
POV: And the metaphor of the grinning cat ?
Thierry: It’s just Lewis Carroll, the Cheshire Cat smile. And that smile is a way of saying, "Hey humans; we’re still connected." Not "We shall overcome," but "We may disappear…"

Marc Glassman is the editor of POV, artistic director of Pages Unbound, film critic for Classical 96.3 FM, and an adjunct professor at Ryerson University.

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Terry GILLIAM

(Né le 22 novembre 1940)
Terrence Vance "Terry" Gilliam est né à Medicine Lake, dans le Minnesota (États-Unis). Acteur, ancien membre des Monty Python, il est aussi dessinateur, scénariste et surtout réalisateur de cinéma. On lui doit, entre autre, Brazil  (1985), Las Vegas Parano  (1998) ou encore Tideland  (2006). Il a réalisé un "remake" de La Jetée  (1962), sous le titre de L'Armée des douze singes  (1995).

"Quand avez-vous vu La Jetée  pour la première fois ?
J'ai découvert La Jetée  lors de la première de L'Armée des 12 singes  à Paris. Je n'en n'avais vu que des photos jusqu'alors. C'est un film extraordinaire et j'ai été bouleversé par la puissance du seul plan en mouvement. Cette scène restera gravée à jamais en moi.
Est-ce que L'Armée des 12 singes  est vraiment un remake de La Jetée ?
Les scénaristes de L'Armée des 12 singes, David et Jane Peoples, ont écrit le scénario en évitant que c'en soit un. Il était convenu d'un commun accord avec Chris que le scénario s'inspirerait de La Jetée, mais n'en serait pas à proprement parlé un remake. Bien que j'avais vu des photos du film de Marker, je me suis refusé à visionner son film avant de tourner le mien, je ne voulais pas que sa vision me pousse à vouloir lui être fidèle. J'ai travaillé à partir du scénario de David et Jane, et j'ai tenté de mettre en images leurs idées. A mes yeux, La Jetée  est un film parfait. Pour filer la métaphore, c'est un gland duquel a germé un grand arbre touffu, L'Armée des 12 singes… Deux développements différents de la même idée.
Avez-vous déjà rencontré Chris Marker ? Saviez-vous qu'il aimait beaucoup L'Armée des 12 singes ?
J'ai rencontré Chris une fois seulement, au Midnight Sun Festival, en Finlande, où je présentais le film. Nous avons pris le petit déjeuner ensemble. J'étais très heureux qu'il l'apprécie. Nous sommes restés en contact via e-mail jusqu'à sa mort. Ce fut un grand honneur de l'avoir connu.
Parmi ses autres films, lequel est votre favori ?
Sans Soleil  se détache très nettement. Mais j'ai aimé tout ce qu'il a fait avant sa mort, ses photos dans le métro [Passengers], sa galerie d'images en ligne. Il cherchait continuellement de nouvelles façons de partager ses points de vue et ses idées.
Comment décririez-vous Chris Marker ?
Un cinéaste poète, politique, humaniste, avec un œil perspicace, un cœur bienveillant, et dotée d'une vision tranchante et d'une honnêteté brutale dans l'approche de son sujet."

Témoignage paru dans l'article de Nicolas Rioult, "A la rencontre de Chris Marker", Première, 20 novembre 2013.

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Patricio GUZMAN

(Né le 11 août 1941)
Réalisateur chilien, Patrizio Guzman Lozanes vit à Paris. A la suite de la disparition de Chris Marker, le Magazine du Jeu de paume, sur le web, lui offre la parole le 4 septembre 2012. Nous reproduisons ici l'intégralité de ce document, important témoignage sur la relation des deux hommes, remerciant grandement le Jeu de paume de cette initiative et invitant le lecteur à lire les autres articles concernant Guzman et Marker sur le site.
Le texte est publié en décembre 2012 dans le n° 75-76 de la revue Images documentaires.
A noter que le site du BFI propose la version anglaise de ce texte, qui est aussi traduit en espagnol dans Chris Marker - Inmemoria  (sous la dir. de Mara Fortes et Lorena Gomez Mostajo), Mexico : Ambulante Ediciones, 2013, p. 89-94 et dans "Lo que debo a Chris Marker", Nuevo texto critico, n° 24(1) (2011), p. 61-68

"Chris Marker a frappé à la porte de ma maison en mai 1972. C'était à Santiago du Chili.
À peine avais-je ouvert que je me trouvais face à un homme mince comme un fil et qui parlait un espagnol venu de la planète Mars.
“Je suis Chris Marker” me dit-il.
J'ai reculé d'un pas et suis resté là à le regarder sans rien dire, tandis que dans ma tête s'entrechoquaient des images de son film La Jetée  que j'avais dû voir une quinzaine de fois.
On a fini par se serrer la main et je lui ai dit : “Après vous.”
Chris Marker est entré. Il était là, chez moi, debout dans mon salon, attendant que je l'invite à s'asseoir. Il ne disait pas un mot mais je lisais dans ses yeux tourmentés son inquiétude d'avoir mal garé dans la rue la navette spatiale qui l'avait mené jusqu'ici.
À peine avait-on rencontré Chris qu'on lui trouvait cet air d'extraterrestre qu'il a trimballé toute sa vie. Il avait ce visage taillé à la serpe, des yeux presque orientaux, le crâne rasé et des oreilles qui rappelaient celles de Mr. Spock. Il entrecoupait ses phrases de silences impromptus et zézayait un peu, pinçant ses fines lèvres comme s'il était réfractaire à tout langage terrestre. Il donnait l'impression d'être très grand alors qu'il ne l'était pas. Et il s'habillait dans un style indéfinissable. On aurait dit un ouvrier chic.
“Votre film m'a intéressé” me dit-il. Me voilà envahi par un sentiment de peur, mêlé de sensations de danger et de vénération. C'est alors que ma femme est entrée pour lui dire bonjour, ainsi que ma fille Andrea qui avait alors deux ans.
Je venais tout juste de terminer La Première Année, mon premier long-métrage documentaire sur les douze premiers mois du gouvernement de Salvador Allende. "Je suis venu au Chili avec l'intention de filmer une chronique cinématographique" m'avoua-t-il. J'avais du mal à réprimer ma nervosité, assis face à lui tandis que mon épouse lui offrait une tasse de thé qu'il acceptait aussitôt. "Mais vu que vous l'avez déjà fait, j'aimerais autant acheter votre film pour le projeter en France."
Quarante années ont passé depuis cette conversation et il m'a fallu presque tout ce temps pour saisir à quel point elle avait marqué ma vie. Car c'est à cet instant précis que ma modeste carrière de jeune cinéaste fit un bond considérable, car Chris Marker est reparti, emportant dans ses valises un master 16 millimètres du film ainsi que les bandes sonores.
Quelques mois plus tard, il m'a envoyé le dossier de présentation de La Première Année  et une lettre me racontant dans le détail la soirée de première au Studio de la Harpe, à Paris. Il avait joint à son envoi la chronique qu'il avait publié dans la revue Les Temps Modernes  fondée par Sartre et que dirigeait Claude Lanzmann. Chris Marker avait écrit un compte-rendu pertinent du film, mais pas seulement !
Il avait aussi dirigé le doublage de main de maître, et il m'avait demandé l'autorisation d'alléger le film (il faisait alors 110 minutes). J'avais accepté évidemment : c'est vrai que le film était plein de répétitions — je n'étais pas satisfait du montage ; il y avait certes des scènes émouvantes mais le film avait bien dix minutes de trop…
Il avait enfin ajouté un prologue de près de huit minutes qui retraçait efficacement l'histoire du Chili et plus particulièrement celle du mouvement ouvrier mené par Allende. C'était un montage de photographies noir et blanc prises par Raymond Depardon lors d'un voyage qu'il venait de faire au Chili. Le récit, écrit par Chris, était une merveille de synthèse. Quant à la musique, basée sur un jeu de cordes atonales, elle insufflait de l'onirisme à l'ensemble. Le court-métrage finissant, le générique débutait dans la lancée sur le titre du film: La Première Année.
Cette introduction au film était nécessaire car une bonne partie du public français ignorait tout du Chili. En outre, Chris avait dû faire face à un autre gros souci pour le moins épineux : en 1972, les spectateurs n'admettant pas les sous-titres dans le documentaire, le doublage était un passage obligé. Qu'à cela ne tienne, Chris avait illico convoqué tous ses amis parisiens pour qu'ils viennent doubler les voix chiliennes. Or ses amis n'étaient pas n'importe qui : François Périer devenait le narrateur, Delphine Seyrig la femme bourgeoise, Françoise Arnoul et Florence Delay endossaient les voix des ouvrières, et même le distributeur du film, Anatole Dauman (Argos Films), prêtait sa voix au doublage ! Enfin, Chris avait fait appel au célèbre dessinateur Folon pour réaliser l'affiche du film.
Je tombais des nues, le tour que prenait cette aventure me semblait absolument irréel. Quelque chose d'inimaginable était en train de se passer : après tout La Première Année  était un film modeste, tourné en 16 mm, sans son synchrone, au budget insignifiant, et je n'avais pas eu d'autre ambition que de montrer la joie de ces ouvriers, ces travailleurs et ces mineurs que j'avais suivis durant cette première année de la présidence d'Allende. Je ne pouvais avoir plus d'espoir que ce que j'avais obtenu: six copies en 35 millimètres afin que le film puisse circuler dans quelques salles au Chili. Mais soudain, grâce à Chris, La Première Année  voyageait à travers les villes de France, de Belgique, de Suisse ! Le film remporta le premier prix au festival de Nantes et le prix FIPRESCI à Mannheim. Or, ironie, j'étais coincé à Santiago, ne pouvant seulement rêver d'un voyage en Europe, car ni Chris ni moi n'avions le moindre sou en poche…
Un an plus tard, à la fin de l'année 1972, ma situation changea radicalement: la droite était parvenue à insuffler un sentiment de désordre dans la plupart des villes du Chili, s'appuyant sur l'opposition à Allende, et soutenue financièrement par Nixon et Kissinger. Un sentiment d'incertitude s'emparait de tout le pays.
Un matin, toute l'équipe qui allait faire La Bataille du Chili  s'était réunie dans le Parc Forestal de Santiago1.
Nous discutions des événements et une question nous taraudait : "Que faire ?" En effet, nous venions de perdre notre producteur, Chile Films, alors que nous étions en pleine préparation d'un long-métrage de fiction. Huit mois de travail perdus !
La production, comme bien d'autres entreprises, n'avait pas tenu le choc face à la grève des camionneurs organisée par la droite au mois d'octobre. Conséquence de cette grève sauvage qui avait paralysé le pays, le gouvernement venait d'interdire les importations d'un certain nombre de produits… dont la pellicule vierge.
En quête d'une solution (même la plus improbable), j'eus l'idée d'écrire à Chris Marker. J'ai conservé copie de la lettre dont voici le dernier paragraphe:

“Comme c'est déjà arrivé par le passé, je n'ai pas trouvé le temps de répondre à tes lettres. Ici la situation politique est confuse et le pays est en situation de quasi guerre civile, ce qui nous met dans une tension très vive. La lutte des classes gagne du terrain. Dans toutes les usines, toutes les exploitations agricoles, tous les villages, les travailleurs vocifèrent et exigent le contrôle ouvrier sur leurs lieux de travail. La bourgeoisie est prête à tous les recours. Elle utilisera la légalité bourgeoise comme elle s'appuiera sur ses organisations syndicales avec le soutien financier de Nixon. On doit filmer tout ça ! Faire un grand reportage au cœur des usines, des campagnes, des mines. Un film d'investigation dont le théâtre sera les grandes villes comme les villages, la côte comme le désert. Un film qui sera une fresque politique composée de plusieurs chapitres et dont les protagonistes sont le peuple et ses dirigeants d'une part, et l'oligarchie, ses leaders et leurs connexions avec Washington d'autre part. Un film d'analyse. Un film de masse et un film d'individualités. Un film trépidant, nourri des faits du quotidien et dont la durée finale est imprévisible. Un film libre de forme, qui mêlera le reportage, l'essai, la photographie fixe, la structure dramatique de la fiction ou le plan séquence suivant les circonstances et ce que la réalité nous imposera. Toutefois NOUS N'AVONS PAS de pellicule vierge. En raison du blocus imposé par les Etats-Unis, les importations peuvent prendre jusqu'à un an de retard. Pour obtenir ce matériel, nous avons pensé à toi… Pardonne-moi la longueur de mes explications et, je t'en prie, réponds-moi avec une franchise absolue. J'ai toute confiance en toi. Affectueusement, Patricio.”

Santiago du Chili, le 14 novembre 1972.

La semaine suivante, je recevais un télégramme de Paris: "Ferai ce que je peux – Salutations – Chris".
Et un mois plus tard, une caisse débarquait à l'aéroport de Santiago. Elle arrivait directement de l'entreprise Kodak (Rochester) et la douane l'avait laissé entrer sur le territoire, car cela ne coûtait rien à l'Etat. Chris Marker avait réuni des fonds en Europe et passé directement commande à l'usine des Etats-Unis. La caisse contenait 43.000 pieds de pellicule noir et blanc (aproximativement 13.200 mètres, soit 14 heures)2, et 134 bandes magnétiques pour Nagra.

Ce fut le deuxième grand moment de bonheur que nous offrait Chris Marker.
Devant ces boîtes qui étincelaient comme des miroirs, nous n'en croyions pas nos yeux ! Aucune des cinq personnes de l'équipe de La Bataille du Chili  n'en avait jamais vues de neuves : jusque-là nous n'avions travaillé qu'avec des chutes de bobines périmées. C'était aussi la première fois que nous avions entre les mains des emballages neufs de bandes magnétiques. Nous brûlions d'envie de commencer le tournage, mais il nous fallait agir avec prudence pour ne pas épuiser notre stock trop vite.
Nous dessinâmes le schéma des zones de conflit sur l'un des murs de notre bureau. C'était une grande "carte théorique" qui occupait la moitié de notre espace. Elle était tracée au marqueur noir sur des feuilles cartonnées blanches. On y énumérait les problèmes économiques, politiques et idéologiques. Chaque thème renvoyait à des sous-thèmes — contrôle de la production, contrôle de la distribution, relations de production, lutte idéologique de l'information, résumé des enjeux, etc... — Ce plan de bataille a dû bien faire rire Chris. Il m'a d'ailleurs envoyé à l'époque une lettre m'expliquant qu'il était impensable de parvenir à filmer tout ça. Mais ce que Chris ignorait, c'est que cette grandiloquente théorisation était la conséquence de notre obsession d'alors : éviter de gâcher la pellicule pour ne pas lui faire mauvaise impression…
À la suite du coup d'Etat et après avoir été retenu prisonnier deux semaines durant au stade national, j'ai enfin pu m'envoler vers la France. Ce fut un moment chargé d'émotion. Mon billet d'avion avait été payé par mes anciens camarades d'école espagnols (ceux avec qui j'avais fait mes études de cinéma à Madrid) et Chris m'attendait à Orly. Il était seul ou presque dans un des salons de l'aéroport. Quand je me suis approché de lui, il m'a regardé avec une intense curiosité, plaçant ses mains en visière, se déplaçant d'un côté, de l'autre. J'étais face à lui et il ne parvenait pas à me reconnaître. Il faut dire que j'avais rasé ma barbe.
Nous voilà en route pour Paris à bord d'une voiture neuve. Chris me conduisait vers une maison de grand luxe pour le déjeuner. L'atmosphère était chic et il y avait de belles femmes (peut-être était-ce des gens du cinéma?). Chris était un grand séducteur, mais assurément c'était bien lui le plus martien de l'assemblée ! Mon français était déplorable. Et d'ailleurs pendant les années qui vont suivre, je ne comprendrai jamais vraiment ce qu'on me dira. Ma capacité de feindre atteindra même une certaine perfection. Après le déjeuner, nous avons rendu la voiture que Chris avait empruntée, puis nous avons pris le métro, portant mes bagages sur le dos. Chris m'a conduit jusqu'à un hôtel bon marché, nous nous sommes dit au revoir, il a enfourché sa vieille moto et il est parti.
Commença alors un long marathon pour trouver de l'argent. Nous avons dîné chez Fréderic Rossif en compagnie de Simone Signoret. Nous avons dîné chez Florence Delay, la "Jeanne d'Arc" de Robert Bresson. Nous avons rencontré des dizaines de personnes pour parvenir à monter et terminer La Bataille du Chili. Nous avons vu plusieurs fois Saul Yelin, un brillant diplomate de l'ICAIC3 à qui nous avons expliqué nos objectifs. Cela dura des mois. Pendant quelques semaines, j'ai pu logé chez une autre amie de Chris, place Saint Sulpice.
Au bout du compte Alfredo Guevara, le président de l'ICAIC à La Havane, approuva le projet et nous avons pu finir La Bataille du Chili  à Cuba. Depuis qu'il avait fait deux documentaires magnifiques sur l'île, Cuba si  et La Bataille des dix millions, Chris avait d'excellentes relations avec les Cubains. Il m'a fait bénéficier de son soutien et j'ai eu ainsi la chance de pouvoir partir à La Havane. Mais c'était à un moment critique car à partir de 1977, les relations de Chris avec Cuba se sont détériorées brusquement avec la sortie de son film Le Fond de l'air est rouge, dans lequel Chris critiquait le régime de la Havane.
Je suis donc parti pour six mois à Cuba. J'y suis finalement resté six ans : le temps de monter La Bataille  avec Pedro Chaskel. Je suis revenu à Paris une première fois en 1975 pour présenter la première partie du film qui était programmée à la Quinzaine, à Cannes. Avec Federico Elton (le directeur de production), nous en avons déposé une copie au bureau de SLON, le collectif fondé par Chris (qui deviendra l'ISKRA).
Un an plus tard, Federico Elton et moi-même avons refait la même chose : présentant la deuxième partie du film à la Quinzaine de 1976, nous sommes retourner à SLON/ISKRA déposer une copie. Mais Chris ne nous a jamais répondu. Pas une note, pas une lettre, pas un message ou un appel téléphonique de sa part concernant le film. Pendant des mois nous nous sommes demandé pourquoi. Et pendant des années, je me suis posé la même question.
Il faut rappeler que l'époque était alors très politisée et que le collectif de Chris s'inscrivait dans la mouvance artistique et intellectuelle de la gauche la plus radicale. Or, ce n'était pas le cas de mon film. Il se voulait au contraire pluraliste et il n'était dédié qu'à un seul militantisme: celui du rêve Chilien (la lutte d'un peuple sans armes), de l'utopie d'un peuple au sens le plus large — celle-là même que j'ai pu voir de mes yeux et vivre dans mon corps, au sein de ce Chili vibrant auquel je m'identifiais alors, et auquel je continue de m'identifier aujourd'hui.
En vérité, j'ai longtemps eu le sentiment qu'il n'était pas facile pour moi de faire reconnaître mon oeuvre en France: ce cinéma direct était pourtant une première au Chili et l'un des rares films au monde à montrer la lente agonie d'un peuple révolutionnaire. Personne ne semblait saisir le fond de mon propos, à l'exception du fameux critique Louis Marcorelles qui avait compris ma démarche artistique, la nouveauté de cette forme de cinéma que je proposais et l'impact historique de mon travail. Louis Marcorelles m'a soutenu par ses critiques éclairées parues dans Le Monde, lors de la projection des deux premières parties du film, à Cannes. Pour le reste, j'ai senti un grand silence venant de mes collègues français d'alors, un silence qui a duré bien longtemps. Dans l'intervalle, La Bataille du Chili  avait fait le tour du monde.
Quant à Chris, pendant vingt ans je ne l'ai ni revu ni eu de de contact direct avec lui. Jusqu'au Festival de San Francisco, en 1993, où nous avons passé un agréable moment ensemble. Ces douze dernières années, nous vivions tous les deux dans la même ville. J'ai suivi son travail avec beaucoup d'intérêt. Il faut dire qu'il a toujours vécu très retiré et qu'il savait auréoler sa vie d'un certain mystère.
Aujourd'hui, ici dans ce cimetière du Père Lachaise où tes proches sont venus te rendre un dernier hommage, il ne me reste plus qu'à te dire: ADIEU MON GRAND AMI, BON VOYAGE, MERCI DE TOUT MON COEUR POUR TOUT CE QUE TU M'AS DONNÉ. Cela a été le meilleur de ma vie. VENCEREMOS!

Patrizio Guzman. Paris. Le 2 août 2012.

Notes
[1] L'équipe se composait de Jorge Müller, cameraman ; José Bartolomé, premier assistant ; Bernardo Menz, ingénieur du son ; Federico Elton , directeur de production; Patricio Guzmán, réalisateur.
[2] Il y avait 19.000 pieds de Plus-X ; 14.000 pieds de Quatre-X ; 10.000 pieds de Quatre-X.
[3] ICAIC : Institut Cubain de l'Art et de l'Industrie Cinématographique

Patricio Guzmán, "Ce que je dois à Chris Marker" (Le magazine du Jeu de Paume, 4 septembre 2012)

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Jim JARMUSCH

(Né le 22 janvier 1953)
Réalisateur et musicien américain, Jim Jarmusch est l'un des représentants majeurs du cinéma "underground". Malgré une faible production, ses films sont d'une qualité rare, entre Wim Wenders et Michelangelo Antonioni. On lui doit entre autre Stranger than Paradise (1983), Down by Law (1986), Mystery Train (1989), Night on Earth (1991), Dead Man (1995) et plus récemment Broken Flowers (2005).
Début 2014, David Ehrlich postait, sur truthandmovies.tumblr.com, un fragment d'interview avec Jim Jarmusch, dans lequel ce denier parlait de sa rencontre avec Chris Marker. Une rencontre, aussi étrange de celle de William Klein, un brin fantastique pour ne pas dire surréaliste.
Ce fragment a été posté le 9 mai 2015 sur chrismarker.org.

"There were a lot of things that I couldn’t fit into my recent interview with Jim Jarmusch (which you can read at The Guardian). This is one of them.
“I had a great chance to meet Chris Marker, once. I got to go outside of Paris, he was in a little editing room in it, I think? And this guy Anatole Dauman was a big producer, and he said ‘I pay for Chris to have this little editing room, would you like to go visit him, he would love it.’ And I said, ‘Yeah!’. And I went there, not with this guy, and Chris Marker was in a room about the size of this booth, and he was editing, and he was starting to work in video, early video.
So he took a camera and he filmed me for a while, and he had all these trims in a bin, and he said ‘This is a film project I’m working on, but I don’t touch it, because look inside.’ And inside the bin was a mother cat with her little newborn babies, and he said ‘I leave them alone, they are a priority. So now I work on the video until she takes them out and then I can go back to the film project.’  
He was strange and particular and so nice. It was fantastic.”

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William KLEIN

(Né le 19 avril 1928)
William Klein, né à Manhattan, New York, est un peintre, plasticien, photographe de mode et de rue, auteur-photographe, réalisateur de films documentaires, de fiction et publicitaires, qui vit et travaille à Paris depuis 1948.
Il a révolutionné le genre de la photographie de mode, domaine dans lequel Il a influencé des artistes comme Helmut Newton, Richard Avedon, Frank Horvat, David Bailey et Jeanloup Sieff. En photographie de rue, il a réalisé des livres marquants ayant pour thème cinq grandes capitales: New York, Rome, Moscou, Tokyo et enfin Paris.
C'est tout justement à l'occasion d'une interview qu'il raconte comment il a rencontré Chris Marker et comment ce dernier à publier son premier livre sur New York.

"Mon livre a un peu ouvert la voie. A New York, j'avais vu cinq ou six éditeurs qui ont refusé de faire le livre. J'ai pensé qu'à Paris ce serait différent. Je connaissais les albums Petie Planète que je trouvais marrants. J'ai téléphoné au Seuil et j'ai pris rendez-vous avec le directeur de la collection qui était Chris. Marker. Quand je suis entré dans son bureau - à l'époque il était passionné de science-fiction - c'était Star Wars ! Il y avait des fils partout avec des vaisseaux spatiaux, il portait des pistolets futuristes à la ceinture. Et il avait l'air d'un martien. Je ne m'attendais pas à voir ça au Seuil, qui était une maison tout à fait austère, catholique-scout ! Marker a dit : "On fait ce bouquin, Sinon je démissione." En fait, il menaçait de quitter la maison toutes les semaines. Mais le livre s'est fait, malgré les méfiances de la direction du Seuil qui se demandait ce que c'était que ces photos bizarres. Puis le livre à eu le Prix Nadar."

William Klein, "Propos recueillis par Alain Bergala (en octobre 1995)", Cahiers du cinéma, n° 497 (décembre 1995), p. 71-75

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Claude LANZMANN

(27 novembre 1925 - 5 juillet 2018)
Journaliste, écrivain, cinéaste et producteur de cinéma français, ancien résistant, il est notamment le réalisateur de Shoah, film documentaire monumental consacré à l’extermination des Juifs d'Europe par les nazis. Collaborateur de la revue Les Temps modernes à partir de 1952, il en est le directeur de 1986 à sa mort. En 2012 il accorde une interview pour l'émission de France Culture "Une Vie, une Oeuvre" de Matthieu Garrigou-Lagrange : “Chris Marker (1921-2012)”, une émission de Virginie Bloch-Lainé et Christine Diger. 

Virginie Bloch-Lainé : Claude Lanzmann, vous avez rencontré Chris Marker en 1958.
Claude Lanzmann : Vous démarrez sec.
VBL : Oui, vous avez rencontré Chris Marker en 1958.
CL : Ouais.
VBL : Et dans Le lièvre de Patagonie, vous racontez que vous le rencontrez à l’occasion d’un voyage en Corée du Nord et qu’au début c’est plus de l’hostilité que vous avez pour lui.
CL : Oui.
VBL : Parce qu’il a ce physique, cette mâchoire fermée ; il parle pas beaucoup.
CL : Il avait la mâchoire prognathe ; il parlait tout le temps entre ses dents. Puis j’en sais rien, moi ; je ne le connaissais pas du tout ; j’avais vu un ou deux films de lui. On était vraiment pas faits pour fonctionner ensemble. Bon… Mais il avait déjà été en Chine, l’année précédente, je crois, avec Armand Gatti, et c’est là où je l’ai connu pour la première fois. On nous a emmenés à l’hôtel de Pyongyang et Chris a entrepris de tapisser tous les murs de sa propre chambre et le plafond également de comics américains, bon c’était… c’était son goût et c’était très surprenant quand même. Et oui alors on nous avait dit également d’emmener des cadeaux et chaque fois que nous visitions une usine il fallait procéder à l’échange de cadeaux. Nous on donnait nos minables cartes postales et Chris Marker donnait son « Giraudoux par lui-même » en français, qui était totalement incompréhensible pour n’importe quel Coréen, mais il donnait ça. C’était très marrant, très surprenant à observer. Des comics… c’était un drôle de type… et d’ailleurs quand il était en Chine… bon nous on avait des adresses effroyablement longues et compliquées « aux bons soin de… ». Lui pas du tout. C’était « Chris Marker. Pékin » et ça arrivait, toujours. Il avait le sens de la gloire.
Et bon il m’agaçait beaucoup, il m’agaçait de plus en plus et il me le rendait bien parce que je ne me cachais pas. Et nous nous sommes retrouvés, dans le train Pyongyang – Moukden en Mandchourie, côte à côte, donc c’était difficile de s’ignorer complètement, mais enfin on ne se parlait guère. Et nous arrivons à Shengyang (Moukden) et Chris informe toutes les autorités de la ville, du parti, etc… qu’il a fait un film l’année précédente et qu’il souhaite le leur montrer. Il avait fait un film qui s’appelle « Dimanche à Pékin », qui était un film sur ce que les Chinois, d’alors détestaient le plus au monde, à savoir la Chine du passé. Il montrait l’opéra de Pékin, il montrait des monuments que les Chinois n’avaient qu’une seule idée en tête, à savoir les détruire.
Et il avait un peu d’angoisse quand même. La projection a commencé. Silence de mort, pas une réaction, mais RIEN ! Pas un sourire, pas un rire, pas une protestation. Et ça s’est terminé, tout le monde s’est levé, ils ont foutu le camp, sans dire un mot.
Il était quand même touché là, j’ai commencé à avoir de l’amitié pour lui et il projetait de recommencer la même chose à Pékin, mais dans une salle beaucoup beaucoup plus vaste. Et je lui ai dit « Chris, je n’ai pas de conseil à te donner. Chris, à ta place si tu veux vraiment faire ce film, je m’abstiendrais, je ne le montrerais pas”. Il n’a pas voulu m’entendre, il n’a rien voulu savoir. Nous sommes partis pour Pékin et il a présenté son film et ça a été exactement la même chose, mais avec une exponentialité effrayante.
Donc il était très embêté, désespéré un peu. Moi, j’étais pas fou de ses films, je trouvais qu’on parlait trop dans ses films et que il faisait des jeux de mots, des plaisanteries ; c’était pas exactement ce que j’aimais, mais je ne dis pas qu’il était sans talent, il en avait beaucoup ; mais à l’époque je ne connaissais pas son talent… en tous cas, je n’avais pas essayé de le comprendre.
Et puis, nous sommes devenus amis, vraiment amis de la façon suivante : on s’est retrouvés tous les deux un jour au fond d’une grosse Zim Russe mais fabriquée en Chine, revenant d’une visite à la Grande Muraille. On était tous les deux au fond de cette voiture sans dire un mot, rien, c’était le crépuscule, on était fatigués et soudain j’entends la voix, des dents serrées de Chris, disant « Moi, j’adore la complicité ! » Et là il a arraché mon cœur. Je lui ai pris la main et nous sommes devenus amis et puis voilà. Je ne le connais pas plus, je ne l’ai pas revu et il est mort et ça m’a attristé.
VBL : Une fois que la glace était brisée, il parlait avec plus de chaleur ?
CL : Oui, je l’ai rencontré deux ou trois fois, il était très amical et moi aussi, mais enfin, c’est resté inscrit en moi.
VBL : … parce qu’il voulait pas qu’on le voie, il voulait pas qu’on voie sa photo, qu’on voie son visage, qu’on entende sa voix.
CL : Il voulait pas apparaître.
VBL : Oui.

CL : Disons que c’était un excès absolu d’orgueil. Non mais c’était vraiment un type très bien, c’était pas un con, en aucun cas et il a fait des films très bons. J’ai vu très peu de films de lui. Non, non, je ne suis pas du tout un expert en Chris… Chrismarkerisme.

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Robert LAPOUJADE

(3 janvier 1927 - 17 mai 1993)
Peintre et réalisateur français, Robert Lapoujade quitte la province pour Paris en 1942. Trois ans plus tard, il se lie d'amitié avec Paul Flamand et Jean Bardet, directeurs des Editions du Seuil, pour lesquels il va travailler en tant qu'illustrateur, et où il rencontra probablement Chris Marker. En 1968, il réalise Le Socrate  qui obtient le prix spécial du jury de Venise, et en 1973, Le Sourire vertical  présenté à Cannes, mais censuré car considéré comme pornographique. Marker le mentionnera dans son essai sur Giraudoux en disant que "son entreprise est à la mesure de la dernière ambition de notre époque : inventer le hasard."

"Robert Lapoujade : Si le cinéma est un art de synthèse, il est assez normal que Chris Marker en soit venu à le pratiquer car, au départ, quand je l’ai rencontré il était dessinateur, presque peintre, et en même temps écrivain. Il avait écrit Le Cœur net, un roman tout à fait remarquable et, à l’époque, saisissant de nouveauté et de puissance. Cet art du dessin, c’est-à-dire cet art du regard, cette façon curieuse et presque constamment ironique de voir le monde, devait étinceler dans le cinéma. Dans son essai sur Giraudoux, une analyse subtile met en question un personnage assez chatoyant; on comprend que Chris Marker, en pratiquant l’ironie, nous découvre déjà le voyeur voltairien qu’il est devenu.
Guy Gauthier : Justement dans son essai sur Giraudoux il dit quelque part en parlant aussi bien de l’art de Giraudoux que de celui de Picasso, de Max Ernst, de Mac Laren, qui consiste à prendre les choses les plus délaissées et les plus méprisées pour appréhender la réalité la plus profonde : "Je connais un homme qui fait cela ; c’est un peintre, il s’appelle Lapoujade, et son entreprise est à la mesure de la dernière ambition de notre époque : inventer le hasard." Est-ce que vous pensez qu’il y a entre lui et vous un certain rapport ?
: Cela ne fait pas de doute et ce rapport est celui qui existe pratiquement entre tous les créateurs, en ce sens que tout l’art du créateur c’est de s’étonner d’abord, puis de se surprendre. Or une espèce d’étonnement innocent, bien entendu fort civilisé, mais qui le conduit à remarquer les choses, les êtres, les gens, et à les situer dans de nouvelles attitudes pour nous les montrer "en réalité". C’est pour cela que je parlais de voyeur, mais de voyeur dans le cadre même de ce qui est la création, c’est-à-dire le regard revu. Ainsi Chris Marker s’est penché sérieusement sur le problème de l’informe. L’important dans son œuvre, c’est cette façon d’accrocher le détail habituel, qui passe inaperçu et de le mettre en évidence de telle façon qu’il n’est plus le détail mais qu’il devient le caractère structurel d’une œuvre. Or, par là, il se rapproche de tous les créateurs actuels en musique, en peinture… il s’agit de mettre en évidence un univers qui est à faire, qui existe certes, mais seulement à l’état latent et que tout à coup on met en pleine évidence au niveau d’une conscience aiguë de la situation, de la chose nouvelle. C’est vraiment le type même de la surprise, qui correspond à une prise de conscience, qui serait sous-jacente.
: Par exemple, dans Lettre de Sibérie, il nous aide à comprendre la réalité profonde de la Yakoutie grâce à quelques vieilles cartes postales et de la musique du Far-West. Ou encore dans Description d’un combat, à partir d’un oscilloscope et de deux hiboux, il part dans une méditation assez extraordinaire sur le passé, le présent et l’avenir. C’est bien cet aspect que vous signalais.
: C’est exactement cela. Il s’agit à mon avis d’un brouillage qui correspond nettement à l’informe et à cette dialectique qui veut que la forme se dégage de l’informe. Cela peut sembler naïf mais le destin de la forme c’est l’informe et paradoxalement le destin de l’informe, la forme. Cette oscillation constante veut qu’à partir d’éléments les plus disparates, le monde soit reconstitué afin d’instaurer, au niveau d’une écriture, d’un langage neuf, une nouvelle réalité. Il y a typiquement deux attitudes dans la vie, que Chris Marker semble bien avoir cristallisées dans son œuvre: le réel est, à tous les niveaux, sans aucune hiérarchie, et tout le propre du langage en même temps que de la conscience de l’homme c’est d’en dégager des réalités. La Réalité est quelque chose de monstrueux dans la mesure où elle prend tous les aspects et toutes les formes. Avec un hibou, une tête de cheval on peut arriver à constituer l’équivalent d’un regard ou d’une conscience, celle de Chris Marker notamment. C’est là qu’il y a un rapport, une similitude entre tous les créateurs d’aujourd’hui. Enfin la deuxième attitude consiste à mettre à jour l’intention au niveau de l’invention. Soutenir l’intention par l’invention. Chris Marker développera encore son aventure, car il a saisi cette mécanique à partir de laquelle toute chose devient surprise, devient arrachement d’une réalité.
: Certains disent en parlant de Marker : "c’est un homme très intelligent qui a parfaitement assimilé tout ce qui s’est fait jusqu’à présent. Il a assimilé la leçon des surréalistes, il a réconcilié la littérature et le cinéma… Mais c’est un point d’arrivée". Ne pensez-vous pas, puisque vous êtes aussi cinéaste, qu’il ouvre de nouvelles perspectives pour le cinéma ?
: Cela ne fait pas de doute. Il revient à ce creuset dont vous parlez qui sert de base à tous les créateurs et nous réserve certainement des œuvres étonnantes. De ce fait, au fur et à mesure des choses qu’il aura à dire, il renouvellera son écriture, la rendra sûrement plus abstraite… Il y a évidemment en lui ce côté un peu jongleur mais qui précisément va parfaitement dans le sens de l’écriture cinématographique. En tant qu’écrivain peut-être serait-il passé à côté, en tant que peintre presque sûrement (il y avait dans ses premières œuvres un côté un peu Cocteau).
Tout ce caractère chatoyant de deux possibilités qui eussent donné peut-être des œuvres mineures prend son plein sens dans le domaine cinématographique. J’ajoute d’ailleurs qu’il s’agit d’un jongleur de bonne foi et la bonne foi ici est la foi politique, une conscience politique aiguë. Elle n’est pas engagée dans un sens particulier mais il n’y a pas de doute qu’elle dénonce des préjugés d’ordre politique ce qui me paraît aussi très important.
: Disons que c’est un homme de gauche. On ne sait pas toujours ce que le mot veut dire, mais avec Marker, on commence à comprendre.
: C’est cela. On est obligé d’admettre que c’est peut-être le côté de la vérité. Ce qui me frappe c’est que la seule nuance qui départage la gauche de la droite, c’est une nuance de vérité, qui est du côté de la gauche. Dans la logique d’une éthique. Et Marker, c’est aussi la vérité.
Mais je dirais pour conclure que c’est vraiment un homme orchestre, tel que doit l’être un cinéaste. L’homme de la Renaissance… Cet homme qui était chirurgien, peintre, mathématicien, c’est vraiment dans le cinéma qu’on peut le retrouver. C’est vraiment dans le cinéma qu’on peut amorcer une synthèse de tous les arts : sens de l’espace, sens de la perspective, etc... Tout semble juste chez Marker alors que chez la plupart des cinéastes, il y a des défaillances incroyables. Je pense à Godard et à son premier film où les dialogues sont loin de la qualité de l’image.
Chris Marker a touché à tout, pas assez pour se spécialiser, mais juste assez pour en faire un usage très positif dans le cinéma.
: Mais la voie qu’il peut sembler proposer n’est-elle pas liée à une forme d’esprit très originale, ne peut-elle pas nous valoir ainsi une postérité décevante ?
: Il ne s’agit pas d’une voie. Ses cheminements seront divers. Chris Marker dans le cinéma est un essayiste et peut-être un moraliste. Cela aussi peut-être le rapproche des humanistes de la Renaissance.
: Cette comparaison est souvent revenue, et peut-être faut-il en conclure que Marker est un homme de la Renaissance, non pas égaré à notre époque, mais annonciateur d’une renouveau dans l’art du cinéma. Qu’en pensez-vous ?
: Il compte et c’est là l’essentiel. Le renouveau, c’est en ce cas l’application d’un esprit, de la façon dont il devient inévitable…"

"Entretien avec Robert Lapoujade" (propos recueillis par Guy Gauthier), Image et son, n° 161-162 (juin 1963), p. 54-55

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Jean-Baptiste LAUBIER (alias Para One)

(Né en1979)
Musicien, producteur de musiques électroniques, Jean-Baptiste de Laubier, alias Para One, a composé des bandes originales de film (dont la BO de La Naissance des pieuvres  (2007)) et réalisé un court-métrage hommage à La Jetée, I know It was on earth that I knew Joy  (2009).

"Je venais d'arriver à Paris et je m'étais lancé dans des études de cinéma, un peu par hasard, car ce qui m'intéressait c'était le son. Une amie m'a prêté la cassette de Sans Soleil. Et j'ai été ébloui. J'avais vu des films qui m'avaient marqué, mais jamais à ce point. J'aimais la chaleur des images alliée au discours, les émotions et les idées s'incarnaient dans le même mouvement. Chris Marker était un véritable démiurge.
Son univers sonore m'intéressait. Il composait lui-même des musiques à base de synthèse électronique. Le plus marquant en la matière reste Sans Soleil  où il y a un gros travail sur la bande son. Ce qu'il a composé ressemble beaucoup à des musiques électro que je peux écouter aujourd'hui. Cette dissociation de l'image et du son m'a beaucoup inspiré, notamment dans les courts métrages que j'ai pu réaliser à l'école.
Un jour, avec l'amie qui m'avait prêté Sans Soleil, nous sommes allés déposer une VHS de mes courts métrages devant chez lui (des films d'étudiants, en super 8, très influencés par ma vision de Sans Soleil). Il m'a répondu quatre ans plus tard, en s'excusant de ne pas l'avoir fait avant. Il expliquait qu'il avait fait du rangement et qu'il était retombé dessus. C'était une très belle lettre où il me disait qu'il y avait des points communs entre nos films ! J'étais très surpris qu'un artiste aussi important me dise qu'il nous trouvait une sensibilité commune, c'était très flatteur. Je crois qu'il avait aimé qu'on utilise en musique de la liturgie orthodoxe, qu'il adorait.
Je ne comprends pas pourquoi Chris Marker est moins connu que Jean-Luc Godard. Leurs œuvres sont différentes mais ils travaillent la même matière. J'encourage tout le monde à aller voir ses films. Hormis Sans Soleil  et La Jetée, je recommande Le Fonds de l'air est rouge  et Le Tombeau d'Alexandre  qui sont très puissants.

Témoignage paru dans l'article de Nicolas Rioult, "A la rencontre de Chris Marker", Première, 20 novembre 2013

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Pierre LHOMME

(5 avril 1930 - 4 juillet 2019 )
Diplômé de l'Ecole nationale Louis-Lumière en 1953, Pierre Lhomme débute sa carrière de chef-opérateur en 1955. Il travaille pour la première fois avec Chris Marker sur Le Joli mai  (1962) qu'il co-réalise, tant son apport à l'image était essentiel, et on le retrouve sur le premier film produit par SLON, A bientôt j'espère  (1967), ainsi que plus tard sur La Solitude du chanteur de fond  (1974). Il reçoit par la suite deux César de la meilleure photographie pour Camille Claudel  (1989) de Bruno Nuytten et Cyrano de Bergerac  (1991) de Jean-Paul Rappeneau.

"Le Joli Mai
La première fois que j’ai rencontré Chris, pour le film, nous avons surtout parlé technique. Notre problème était d’aller vers les gens sans les contrarier. Mais le matériel de l’époque, qui n’était pas comparable à celui du documentaire ou du reportage d’aujourd’hui, posait de ce point de vue des difficultés majeures. Par exemple, la caméra n’était pas blimpée, nous l’avons blimpée nous-mêmes, tant bien que mal. Le synchronisme par quartz n’existait pas, la caméra était reliée au Nagra par un fil dans lequel nous nous prenions les pieds sans arrêt. J’ai très vite senti que je ne pourrais pas travailler sans écouteur, ce qui ne s’était pratiquement jamais fait jusque-là. J’avais besoin d’être immergé dans les paroles des gens pour que l’image soit en harmonie avec elles. Le son m’aidait.
Dans la rue
Une partie des rencontres avaient été prévues à l’avance par Chris, et d’autres, tout à fait imprévues, ont trouvé leur place dans le film. L’obsession de Chris, c’était qu’on soit à la fois modeste et souple, qu’on n’effraie surtout pas les gens avec nos "outils". Quand on les approchait, on laissait la caméra dans un coin et on parlait avec eux, simplement, jusqu’au moment où on se rendait compte qu’on pouvait filmer tout en continuant à parler. Ça paraît facile et naturel aujourd’hui, mais à l’époque, ça impliquait une vraie préparation.
Je me souviens de journées d’une densité extraordinaire. On était épuisé, et pourtant on éprouvait le besoin de parler des gens qu’on avait rencontrés. On était étonné par tout ce qu’on voyait, par ce que les gens nous disaient. Cette descente dans la rue, par rapport à toutes les idées préconçues que je pouvais avoir, a été une formidable découverte. J’étais médusé par les gens que nous filmions.
Avec moi, Chris travaillait par touches. Les idées qu’il avait étaient souvent extrêmement précises, mais il y arrivait sur la pointe des pieds, par un dialogue. Il avait certainement des idées directrices, mais il restait très discret. Ce qui venait de moi, c’était le regard. Et le dialogue avec lui m’aidait à avoir un bon regard. C’est sans doute pour ça que notre collaboration a été si complète. D’où ma présence au générique comme coréalisateur. Ce n’était pas prévu au départ, et quand j’ai vu le film, j’ai été très touché. Si vous avez ce type de collaboration avec quelqu’un qui s’approprie tout ce qu’il y a sur l’écran, et cela m’est arrivé souvent par la suite, vous vous souvenez de Marker, et vous vous dites que ce type de collaboration, vous n’en voulez plus. Filmer à la main implique trop l’homme à la caméra pour qu’on le considère comme un simple robot.
Après ce film, j’ai eu d’autres expériences de "cinéma direct", mais ça n’a pas duré longtemps, parce que j’avais ce sentiment de frustration par rapport au travail avec Chris.
Le montage
Au cours du tournage, on s’était tellement libéré de la technique qu’on avait engrangé une quantité incroyable de documents. Il y avait plus de 50 heures de rushes, au point que la première version finalisée durait 7 heures. Elle a été projetée une ou deux fois, mais malheureusement pour nous, c’était impensable de sortir le film sous cette forme. Pour Chris, ça a été le moment le plus difficile, parce qu’il avait l’impression de fausser le regard en le réduisant. Un des principes du montage avait été de donner vraiment la parole aux gens. Chris a toujours monté des moments qui avait une vraie durée, pour ne pas les trahir. C’était notre obsession, de ne pas faire comme les actualités ou le cinéma d’enquête, qui ne gardent que des bouts de phrases tirés du contexte. C’est un point de vue moral. Mais c’est difficile de respecter un individu, difficile de ne pas être submergé par le pittoresque ou la caricature. Par exemple le jeune couple qui vit en dehors de la réalité: ils parlent de la vie qu’ils imaginent, ils ont des rêves d’adolescent. S’il n’y avait pas la longueur, ça pourrait être terrifiant. Alors que c’est très touchant: ils sont magnifiques tous les deux, infirmes mais magnifiques.
A bientôt j’espère... – La Solitude du chanteur de fond
A bientôt j’espère... était constitué d’entretien avec des ouvriers de la Rhodiaceta et de plans d’ambiance autour de l’usine (on n’avait pas eu le droit de rentrer à l’intérieur). Nous habitions chez les animateurs du centre culturel. C’était formidable parce que pour la première fois on rencontrait des syndicalistes dont le souci principal n’était pas le salaire. C’est ce qui nous a le plus frappé: toutes les discussions tournaient autour des conditions de vie et d’argent, de la relation humaine, il était peu question de salaire. Ça préfigurait les grandes grèves de Nantes et Mai 68. Le travail avec Chris était très proche de l’esprit du Joli mai  et nous retrouvions nos bonnes habitudes, comme pour La Solitude du chanteur de fond  d’ailleurs, qu’on a tourné sept ans plus tard. À ce moment-là, je n’avais pas tenu de caméra à la main depuis longtemps. Nous avons tourné huit jours chez Montand, et les deux premiers jours, j’ai souffert le martyre, j’avais des crampes partout. Et puis la machine est repartie, et à la fin du film, j’étais en pleine forme !
Nouvelles techniques
Les films que j’ai fait avec Chris sont vraiment marqués par notre manière de travailler ensemble. Par la suite, petit à petit, il s’est passé d’opérateur (pour Le Mystère Koumiko  (1965) par exemple). Mais la grande évolution, c’est à partir du moment où le matériel lui permet l’autonomie, où il s’empare de la vidéo et de l’informatique pour cerner tout seul l’essentiel de son propos. Quand il a eu son "laboratoire" à Argos, les choses ont beaucoup évolué, à l’époque de Sans soleil.
Nous avions régulièrement des discussions là-dessus. J’allais le voir travailler, ne serait-ce que pour me tenir au courant de ces techniques que je ne connaissais pas bien à ce moment-là. Je crois que la vidéo et l’ordinateur lui donnent des ailes, le libèrent d’une grande partie des contraintes matérielles et financières. Du coup son travail paraît plus solitaire, mais ce n’est pas un homme solitaire, contrairement à ce qu’on pense. Il est incroyablement au courant de tout ce qui se passe, par curiosité, par besoin d’être en phase avec les gens. C’est un homme qui vit intensément, mais qui se protège. Sur beaucoup de points, nous étions très proches, pas avec la même intelligence, la même culture, mais nous étions à l’unisson, sur la façon de sentir l’Histoire par exemple, et c’est encore vrai aujourd’hui. J’aime les questions qu’il se pose et la façon dont il se les pose. C’est un travail de réflexion, mais aussi de réaction, une réaction viscérale à l’Histoire qui ne passe pas seulement par l’intelligence." (21 janvier 1997)

"Témoignage de Pierre Lhomme" (recueilli par Olivier Kohn et Hubert Niogret), Positif, n° 433 (mars 1997), p. 90-91

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François MASPERO

(19 janvier 1932 - 12 avril 2015)
François Maspero est un écrivain, traducteur, libraire, éditeur, directeur de revues.
En 1955, à 23 ans, il ouvre une librairie dans le Quartier latin appelée «La Joie de lire», qui fermera 20 ans plus tard.
En 1978, il fonde la revue L'Alternative, qu'il dirigera jusqu'en 1984, pour donner la parole aux "dissidents" des pays du "socialisme réel".
Son amitié avec Chris Marker et leur convergence de vision du monde au temps de la Guerre Froide sont en filigrane d'un film réalisé pour la série télévisée On vous parle.... Dans On vous parle de Paris: les mots ont un sens. François Maspero (1970), Marker dresse un portrait de l'éditeur-libraire, franc et direct par l'entremise d'une interview.
Dans un entretien paru sur revueperiode.net, le 18 septembre 2014, intitulé "Quelques malentendus", François Maspero revient une dernière fois sur sa relation avec Chris Marker : "Enfin je n’aurais garde d’oublier Chris Marker, sans qui, tout bonnement, je n’aurais jamais été le peu que j’ai été. Il m'a fait entre autres partager l’idéal de ce qu’était alors Peuple et Culture, et beaucoup plus encore : toute une vision du monde où le rêve restait toujours au cœur de la réalité ; sans le rêve (et contrairement à l’utopie), une vie ne peut être que végétative. Lui aussi, et plus encore, m’a donné cette même envie et cette même force de vivre et de ne pas renoncer au métier."

Hommage de François Maspero suite au décès de Chris Marker
"Mes liens avec Chris Marker remontent réellement à 1967. Auparavant, nous avions déjà quelques relations du fait de nos rapports avec Peuple et Culture, et j'avais vu, je crois, tous ses films.
Lorsque, en avril 1967, j'ai appris l'arrestation de Régis Debray en Bolivie, au moment où il quittait la guérilla de Che Guevara qui avait été dénoncée par des mouchards et des déserteurs, j'ai décidé d'aller à La Paz pour voir ce qu'il serait possible de faire pour l'aider. En effet, Régis Debray, dans son ultime voyage, était muni, en guise de "couverture", de trois lettres censées le charger d'une enquête sur les populations andines. L'une émanait de la rédaction des Temps Modernes, pour la rédaction d'articles. La deuxième était de la maison d'édition qui portait mon nom et elle le mandatait pour écrire un livre sur le même sujet. Il faut bien admettre que ces deux justificatifs de sa présence en Bolivie étaient de peu de poids, et même contre-productifs aux yeux du premier enquêteur quelque peu averti. Seule la troisième lettre pouvait avoir une réelle valeur: sur papier à en-tête du Collège de France, elle émanait du laboratoire de Claude Lévi-Strauss et était signée de Maurice Godelier. Malheureusement, dès la nouvelle connue, Maurice Godelier me signifia son interdiction radicale et définitive d'en faire état.
L'idée était de partir en compagnie d'un journaliste et d'un avocat. Mais toutes les démarches que je fis dans ce sens se heurtèrent à des refus aussi polis que catégoriques. J'étais pressé par le temps, et c'est alors que Chris Marker se proposa de lui-même. Après avoir subi quelques mois plus tôt une grave opération qui impliquait l'ablation d'une partie d'un poumon, il traversait une phase où il avait décidé de ne plus jamais rien signer lui-même et de se mettre désormais exclusivement au service des autres. Ce qu'il a fait d'ailleurs avec constance dans les années suivantes, avant de revenir, plus tard, à son activité pleine et entière de réalisateur. C'est dans ces années-là qu'il a été notamment la cheville ouvrière de Loin du Vietnam  et qu'il a créé les groupes Medvedkine où chacun participait à la réalisation : ils ont tourné, parmi d'autres documentaires, À bientôt j'espère  et Classe de lutte. Et c'est donc dans le même état d'esprit qu'il a décidé de m'accompagner. Non sans d'ailleurs emporter une caméra Beaulieu et un des premiers magnétophones à cassettes. Qu'il ne manqua pas de manier à sa façon une fois sur place: une façon qui tenait du prestidigitateur, tant elle était rapide, sur le mode "ni vu ni connu". Il m'avait dit : "Je ne suis pas vraiment journaliste et pas du tout avocat, mais je pourrai être votre docteur Watson". Chris a toujours eu la modestie des authentiques orgueilleux.
De ce que fut ce voyage avec Chris Marker et des démarches que nous fîmes, je ne retiendrai qu'un seul temps, pour moi le plus fort. Quand nous avons pris à Lima l'avion pour La Paz, nous sommes arrivés bons derniers dans l'appareil déjà plein : la totalité des passagers, sans exception, étaient taillés en armoire à glace, cheveux uniformément courts, et ruminant du chewing-gum en cadence et en silence: pas besoin d'être grands clercs pour comprendre qu'il s'agissait des "conseillers militaires", c'est-à-dire des marines en civil et autres forces spéciales, que les États-Unis expédiaient au régime bolivien pour l'aider à mater la guérilla et noyer dans le sang les manifestations des mineurs du Potosí.
Un soir, en revenant dans notre hôtel vers minuit, nous eûmes l'intéressante surprise de trouver, de part et d'autre de la porte de ma chambre, plusieurs de ces sympathiques individus, toujours aussi ruminants et patibulaires. La réaction immédiate de Chris à été de me dire: "François, c'est vous qui devez faire les démarches importantes. Dans ces conditions, je vais entrer dans la chambre à votre place. Ils me prendront pour vous, je tâcherai de faire durer leur erreur au moins jusqu'à demain, et cela vous laissera le temps de prendre d'autres dispositions". Il s'avéra ensuite que lesdits individus n'en voulaient pas à ma personne mais s'étaient simplement trouvés là pour mastiquer de concert. Il n'empêche: si quelques mots devaient créer dès lors un lien étroit avec Chris, c'est bien à cet instant que cela s'est produit.
Quelques semaines plus tard, je suis retourné à La Paz, cette fois en compagnie d'un autre ami dont le souvenir me reste aussi cher, Georges Pinet, le seul avocat qui a finalement accepté, avec une totale générosité, de me suivre. Il est vrai que s'il ne se relevait pas, lui, d'une grave opération, il sortait tout bonnement de prison, pour avoir renvoyé, dans un geste de protestation contre je ne sais quelle mesure à ses yeux odieuse, son livret militaire au ministère des Armées qui s'était empressé de faire un exemple… Dans ce deuxième voyage, ce qui devait arriver est arrivé, j'ai été arrêté, incarcéré, longuement interrogé, menacé d'un sort peu enviable avec simulacre d'exécution, et finalement expulsé du pays comme on jette une vieille chaussette. Mais ceci est une autre histoire.
Tout ce qui nous a unis ensuite, Chris et moi, relève d'une amitié qui se situe elle-même dans ce domaine privé dont lui seul contrôlait les limites souvent changeantes et déconcertantes, et je n'en parlerai donc pas davantage. Je dirai seulement qu'à chaque tournant difficile de ma vie il a été présent. Sarcastique parfois, chaleureux toujours, souvent silencieux et constamment vigilant comme le chat de Kipling et celui de Lewis Carroll réunis. Je dirai encore que, simplement, je n'aurais pas été le peu que j'ai été si je n'avais pas eu cette présence, cet exemple.
Et je sais que, de par le monde, il existe toujours un réseau, comme une famille dont bien souvent les membres ne se connaissent même pas entre eux mais savent se repérer à quelques signes mystérieux pour les autres: la famille quasi clandestine de tous ceux que Chris a aidés à vivre, et mieux encore: à trouver un sens à leur vie."

Publié sur le journal web Mediapart du 26 novembre 2013, dans l'article "Tous autour de Chris Marker" d'Antoine Perraud.

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Valérie MAYOUX

Valérie Mayoux travaille avec Chris Marker depuis Loin du Vietnam  (1967) et la naissance de SLON. On la retrouve sur plusieurs de ses films, dont A bientôt j'espère  (1967) ou La Bataille des dix millions  (1970). C'est également elle qui est à l'origine du Fond de l'air est rouge  (1977).

"SLON
C’était d’abord une entité insaisissable, comme son créateur. Elle est née de Loin du Viet-nam, qui a été préparé très collectivement par des réunions de toutes sortes de gens impliqués dans l’idée, et qui essayaient de définir ce qu’il fallait faire. À ce moment-là, je crois que SLON n’avait aucune existence tangible, mais c’est tout de suite après, avec A bientôt j’espère..., que ça a pris l’allure d’une coopérative. C’est resté une structure extrêmement souple, d’où ces génériques poétiques qui se fichaient de la "vérité" : ils étaient vrais parce que poétiques, une vérité de l’esprit, pas de la lettre.
Loin du Viêt-nam
À cette époque j’étais stagiaire, je faisais tout, mais comme tout le monde faisait tout sur ce film, ce qui était d’ailleurs une idée très markérienne. J’ai donc commencé par numéroter la pellicule au porte plume. J’étais plutôt affectée à l’équipe de William Klein, et je n’ai travaillé qu’après avec Chris, qui coordonnait l’ensemble, pour les finitions… On a fait par exemple les sous-titres nous-mêmes : dans la journée on allait à la campagne chez une des participantes, on écrivait les sous-titres sur nos petits cahiers, et le soir on retournait à la table de montage faire des marques sur la pellicule. On était un peu somnambules, les journées duraient 20 heures. Puis Chris m’a fait enregistrer une partie du commentaire. C’était le grand bain…
Les réalisateurs allaient plus ou moins loin : certains, comme Klein, montaient leur film eux-mêmes (mais toujours en demandant l’avis des autres), d’autres remettaient leur paquet de pellicule, et Chris le montait. Des morceaux se sont perdus en route, d’autres se sont retrouvés mélangés un peu partout… Les collectifs étant toujours légèrement mythiques, le travail se faisait par vagues: il y a avait des vagues interventionnistes et d’autres où Chris restait seul aux commandes. Je pense que le film n’aurait pas existé sans lui, naturellement. En passant, je trouve que tout le monde a été très injuste avec Lelouch, parce que ce qu’il a fait était très courageux, étant donné qu’il était en plein succès américain pour Un homme et une femme  et qu’il tournait au Viêtnam un film coproduit par les Américains: il en a profité pour ramener des plans qui nous ont été précieux.
A bientôt j’espère...
Le tournage avait été demandé par les grévistes. Chris a pris la direction du montage en main, avec Carlos De Los Llanos et moi comme assistante. Mario Marret venait très souvent, donnait son avis et on conciliait le tout. Il y avait des choses qu’on trouve rarement dans les tournages: pendant une interview chez des gens, un copain ouvrier entrait, Pierre Lhomme tournait la caméra vers lui, et le copain disait bonjour poliment à tout le monde, y compris à la caméra ! Une autre équipe aurait coupé, mais là c’était en continu et bien sûr on l’a gardé au montage.
Ensuite est né le groupe Medvedkine, directement de la grande idée medvedkienne que Chris commente dans Le Tombeau d’Alexandre par la parole maoïste : il ne faut pas donner du poisson à ceux qui ont faim, il faut leur apprendre à pêcher. D’où l’idée : il ne faut pas donner les films, il faut donner le cinéma ; ce n’était pas l’œuvre qui comptait, mais d’amener les gens à faire leur films. Je ne suis pas sûre que Chris l’ait dit comme ça, mais enfin c’était cet esprit-là qui était important.
Les débuts du Fond de l’air est rouge
Un beau jour, au chômage, j’avais décidé d’aller mettre de l’ordre dans l’arrière-boutique d’ISKRA. C’était littéralement une arrière-boutique, il y avait des étagères où s’entassaient les boîtes de tous les gens qui avaient tournés des choses à un moment ou à un autre depuis 68, et qui n’en avaient jamais rien fait. Des chutes de toutes sortes s’étaient amassées là, pleine d’étiquettes – étiquettes parfois paranoïaques, clandestines, déguisant le contenu de la boîte. J’ai donc commencé à ouvrir ces boîtes un peu rouillée (ça relevait parfois de l’ouvre-boîte), à remettre un peu d’ordre dans tout ça… et à découvrir des tas de choses formidables. Je racontais ça à Chris et je lui disais : "Il y a un film à faire, un film-collage qui raconterait une histoire à partir de tous ces morceaux". Il a relevé le défi, et on a commencé – c’était en 1973 – à répertorier le matériel de son point de vue à lui, avec des bouts qui s’étaient ajoutés entre temps. Il a commencé à élaborer des idées de montage. Là-dessus, il y a eu le coup d’État au Chili, et nous avons tout de suite pris un des morceaux que nous avions sous la main, les entretiens de Régis Debray avec Allende, filmés par Miguel Littin. Chris m’a envoyé en délégation: je me souviens être allée voir Philippe Gildas à la télévision pour lui vendre ça, avec succès. On a donc fait un montage d’urgence, qui a été diffusé tout de suite.
La Spirale
Puis il y a eu la première ouverture du Chili aux journalistes occidentaux. Bruno Muel et Théo Robichet sont partis là-bas tourner Septembre chilien  que j’ai commencé à monter. Vers le mois de décembre, Armand Mattelart, qui avait été expulsé du Chili, est rentré en France. Chris, qui l’avait rencontré là-bas, a pensé qu’on devait faire un film à partir de son expérience et de son analyse de sociologie. C’est Jacqueline Meppiel qui a pris le projet en charge, et elle m’a demandé de l’aider. On s’est donc mis à trois pour élaborer un scénario en bonne et due forme, à déposer au CNC pour avance sur recettes : on est arrivés à sept parties thématiques, organisées en spirale autour d’un noyau, et allant chercher tout ce qui s’y rapportait, les cause, les effets, etc.
Une des raisons d’être du film, c’était la quantité exceptionnelle de matériel qui existait au Chili, puisque pendant trois ans tout le monde était allé tourner là-bas : les télévisions américaines, les équipes de cinéma de gauche, américaines mais aussi européennes… Il fallait rassembler les documents. Nous sommes allés un peu partout. Je me souviens d’une journée extraordinaire, à la Film Library de New York. J’ai visionné les bobines sur un matériel d’une vétusté comme on n’imagine pas en voir là-bas: une petite manivelle à main, et je regardais la pellicule en tournant la tête à 45°! Tout ce qu’on avait espéré trouver sans y croire était là ! C’était comme si je voyais le film se dérouler sous mes yeux. Jacqueline, de son côté, a récupéré beaucoup de choses, à La Havanne entre autres. On a tout rassemblé, tout fiché, et à partir de là, il était possible de se répartir des séquences. On s’était fixé une durée limitée car on voulait que ce soit un film grand public, gonflé en 35 mm. On faisait des projections hebdomadaires avec Jacques Perrin, producteur du film: il était formidable parce qu’il regardait de façon très attentive et pertinente, et nous faisait des remarques dont on tenait compte. Tout a été relativement vite et à la fin de l’été 1974, le montage était pratiquement fini.
Ensuite est venu le problème d’écriture du commentaire. C’était difficile d’écrire à trois et Jacqueline a appelé Chris à la rescousse. Mattelart lui a remis un dossier préparatoire, qui, à la lecture, devait faire une dizaine d’heures! Chris a commencé à travailler, pendant que nous mettions la dernière main au montage négatif, et il est revenu avec une proposition de commentaire: elle faisait environ 3 heures, alors que nous avions à peu près 1h40 de montage ! Nous avions prévu un tournage additionnel, celui des liaisons avec les figurines de Folon, la séquence de la bourse des denrées – que Chris avait tournée à Londres, pour l’histoire de la manipulation des cours du cuivre destinée à déstabiliser l’économie chilienne. Mais ça ne suffisait pas. On s’est remis au montage et c’était très dur, parce qu’on n’avait plus de support au commentaire de Chris qui a du coup provoqué un réel changement : il fallait rajouter des séquences sur certaines parties du commentaire, et sur d’autres celui-ci ne collait pas. Avec lui, le film est devenu plus subtil. Jacqueline et moi étions un peu perplexes, dans la mesure où notre idée (peut-être celle de Mattelart aussi, moins de Chris, qui n’envisage pas les choses sous cet angle-là) était de faire réfléchir le grand public sur l’idée maîtresse de Mattelart, à savoir que la lutte des classes n’est pas exclusivement le fait des exploités, mais aussi de ceux qui exploitent, et qui défendent leur position. Il nous apparaissait donc important de ne pas ajouter trop d’informations que nous ne jugions pas prioritaires, et la langue sophistiquée – et très belle – de Chris a entraîné de grandes discussions entre nous quatre.
La subtilité du commentaire m’a d’ailleurs posé d’autres problèmes quand il a fallu faire une version anglaise. Peut-être les Américains ne pratiquent-ils pas l’ironie – dans le documentaire historique du moins ! – en tout cas le second degré si familier à Chris se retrouvait pris au premier degré dans la traduction américaine, ce qui donnait des choses extrêmement surprenantes ! Finalement je l’ai à moitié refaite et c’était effectivement très difficile à traduire.
Le Fond de l’air est rouge
Je suis retourné rendre visite à Chris qui s’était installé un atelier dans une sorte de loft, chez des amis, pour monter Le Fond de l’air… C’était glacial en hiver, la table de montage était installée au milieu de la pièce, et il travaillait là seul : on aurait dit un moine. Il me montrait ce qu’il avait fait. Pour lui, le montage est vraiment la recherche de la nécessité de ce que disent deux plans quand ils se rencontrent – et qui peut passer, chose très importante chez lui, par l’humour. C’est une alchimie qu’il est le seul à pouvoir trouver, avec son allié le hasard, qui n’existe pas d’ailleurs: il peut confier à d’autres, ses "petites mains", le montage d’une séquence, mais c’est à peine plus que le hasard… Sur La Bataille des dix millions, il lui est arrivé de partir en me disant : "Valérie, je vous laisse monter la séquence" et j’étais absolument saisie d’épouvante, parce que naturellement il ne soufflait pas mot de ce qu’il entendait par là. D’ailleurs, il ne peut pas le dire d’avance, comme un alchimiste ne connaît pas d’avance la formule de son expérience. C’est pour cela que l’apparition de la vidéo, de l’informatique et autres synthétiseurs a été une telle jouissance pour lui, parce que ça lui permet vraiment de jouer avec une souplesse formidable.
Il accorde aussi une énorme importance au son. Je me souviens d’un jour où je suis entrée dans la salle de montage d’A bientôt j’espère..., quand il préparait le mixage : j’ai vraiment vu un compositeur en train d’écrire de la musique, c’était fabuleux. Ces montages sont véritablement musicaux, un contrepoint musical à l’image. Je ne sais pas s’il en a déjà une idée quand il monte l’image, mais en tout cas il est évident que pour lui le son est aussi important, alors qu’en général le temps du montage-son est terriblement sous-évalué, considéré comme accessoire et préétabli par l’image. Voilà un enseignement que j’ai retenu de Chris – c’est aussi passionnant et déterminant de monter le son que l’image.
Je ne sais pas combien de films ont été sauvés grâce à lui. Après 68, beaucoup de gens se lançaient dans le cinéma sans trop savoir où ils allaient. Ils se retrouvaient avec une masse de pellicule un peu informe, ne sachant pas du tout comment lui donner vie, et Chris prenait tout ça dans ses mains, s’installait dans un ermitage ou un autre, et se concentrait là-dessus pour l’articuler. Il est capable de structurer un montage de choses qui lui sont extérieures, y compris les choses les plus inattendues, parce qu’il a un esprit aussi analytique que synthétique, une acuité de regard, une curiosité tout terrain, une faculté d’empathie avec les autres et le désir de leur donner le cinéma.
Je dois insister aussi sur la merveilleuse liberté de travail avec lui : liberté de ce qu’on peut faire, du possible, qui existe au tournage aussi bien qu’au montage et qui est plus large que je ne l’ai jamais trouvée avec personne d’autre." (29 janvier 1997)

"Témoignage de Valérie Mayoux: monteuse" (recueilli par Olivier Khon et Hubert Niogret), Positif, n° 433 (mars 1997), p. 93-95

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Sana Na N'HADA

(Mai 1950)

Sana Na N’Hada est un réalisateur bissoguinéen formé à l’institut cubain des Arts et de l’industrie cinématographique. "Xime" et le documentaire "Bissau d’Isabel" font partie de sa filmographie.

Lors de l’une des conférences "Le roman de Chris Marker" le 9 novembre 2013, Anita Fernandez a lu une lettre écrite par Sana Na N’Hada. Une lettre hommage dans laquelle il revient sur sa rencontre avec Chris Marker.

"Ma rencontre avec Chris Marker remonte à la fin des années 70, Mario de Andrade alors Directeur Général du Conseil National de la Culture du gouvernement de Guinée Bissau, l’avait invité pour faire l’état des lieux de notre cinéma naissant. Avec Chris Marker nous avons commencé par visionner nos rushs accumulés pendant des années, ce qui n’était pas une mince affaire, pendant un mois il nous a scrupuleusement signalé nos erreurs de tournage, toutes nos erreurs. Ensuite nous avons vu et discuté avec lui en visionnant des films étrangers, les siens y compris. J’ai beaucoup aimé le cinéma de Dziga Vertov, de Costa Gavras, d’Antonioni, de Fellini mais à l’époque, j’avoue ne pas avoir vraiment compris la porté de « La Jetée » de Chris Marker, avec le temps, cependant et à force de le revoir, je crois m’être rattrapé. Un jour le hasard a voulu que nous rations, Chris et moi un hélicoptère en partance pour Kassaka, c’était à l’occasion d’une cérémonie de remise des grades aux anciens guérilleros qui devenaient ainsi militaire de l’armée nationale. Quand nous sommes revenus à l’hôtel que Chris venait de quitter, il n’y avait plus de chambre pour lui. Nous voici en tête à tête forcé pendant plus de 48 heures, ce temps a été pour moi du pain béni. Chris accepte de diner avec moi, mais refuse mon hospitalité, nous nous retrouvons donc tous les deux à notre salle de montage, nous passons toute une nuit. Cet apprentissage intense m’a permis de découvrir un tas de chose sur le montage. Le lendemain après un petit déjeuner, Chris Marker était plus frais et plus dispo que moi pour reprendre le travail, à la pause de midi, je le vois prendre un simple sandwich et de repartir pour une session de montage alors que moi je croule de fatigue. A 3 heures du matin de notre deuxième jour de notre marathon de montage, alors que je ne l’avais pas vu boire le moindre café, Chris Marker ne veut toujours pas dormir. Moi, je suis au bout du rouleau, j’arrive à le convaincre de prendre un repos plus que mérité, je me débrouille pour lui trouver un gîte dans une auberge. Le lendemain à 8 heures, déjà debout je l’ai retrouvé qui rouspète parce que j’avais payé sa chambre avec la ferme intention de me faire rembourser par le gouvernement, dont il était l’invité. En ces quelques jours passés à notre table de montage avec Chris Marker, j’ai appris assez de chose sur le cinéma pour répondre à sa question sur la difficulté des raccords au montage… « Maintenant je sais comment ne pas filmer », ce qui l’a beaucoup amusé. Selon moi, Chris Marker avait le don de faire parler n’importe quelle image, trouvant le mot juste qui va la faire voir autrement et la juxtaposant à une autre pour lui faire exprimer l’universel. Après ce premier séjour d’un mois parmi nous, avant de partir Chris Marker a remis à Mario de Andrade, ministre de la Culture, un pli. Il m’en a donné une copie, je découvre que c’était son rapport sur nous. Chris y disait le plus grand bien de notre équipe composée de Joséphina, José, Florentino, Gomes et moi-même , mais le plus important c'est que dans ce rapport, il exhortait le gouvernement de mon pays à franchir le pas pour investir dans le cinéma. Chris nous a mis en relation avec la monteuse Anita Fernandez avec laquelle je poursuis mon travail de réalisateur. Nous avons eu la chance de l’avoir connu, il nous manque, heureusement nous avons ses films. Merci Monsieur Chris Marker."

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Paul PAVIOT

(11 mars 1926 - 23 novembre 2017 )
Le scénariste et réalisateur français Paul Paviot tourne dans les années 1950 des documentaires et des fictions, avant de rejoindre le monde de la télévision où il crée la collection de documentaires "Enracinements".
Il fonde la société de production Pavox Films pour financer ses films qui ne trouvent pas de producteurs. A l'occasion d'une réunion de l'association française des ciné-clubs, il fait la connaissance de Chris Marker qui s'apprête à partir pour la Chine. Le courant passant bien, Paviot propose à Marker de lui fournir par l'entremise de Pavox Films une caméra 16 mm et de la pellicule pour pouvoir tourner un film qui s'intitulera finalement Dimanche à Pékin  (1956). L'année suivante, Paviot propose à Marker d'écrire le commentaire de son film Django Reinhardt. Après un premier refus, Marker finit par accepter. Le commentaire sera dit par Yves Montand. Ce film sera l'occasion des retrouvailles de Marker avec Simone Signoret et de la rencontre avec Yves Montand.

"Guy Gauthier : Que pensez-vous de l’œuvre de Chris Marker et de son importance dans le cinéma contemporain ?
Pauk Paviot : Par sa forme, Marker a fait évoluer le documentaire. Son œuvre est une œuvre à part. Il est l’auteur-complet de notre génération. Comme il fait des films de médiation, on pourrait même dire qu’il est un réalisateur essayiste. Ce qui caractérise son œuvre, c’est un sens aigu de l’observation mêlé à un instinct du montage, mais surtout, c’est une grande maîtrise du mot et de l’image, du mot et du silence. Dans ses films, les plages de silence arrivent souvent en contrepoint de la musique des mots. Tout cela fait dire que l'on peut vraiment parler d’un style Marker. Dégagé de l’influence de ses lectures anciennes, il s’est installé dans un domaine qui lui est particulier, celui du mot-image, pour nous donner sa vision personnelle de notre petite planète. Dans ses films, il sait aller à l’essentiel. Pourtant quelques-uns ont écrit que ses textes revêtaient une certaine préciosité. Si l’on doit employer ce mot, je dirais qu’il s’agit de la préciosité de l’intelligence et non comme on voudrait parfois le faire croire, de l’ostentation de l’intellectualisme. Derrière la sécheresse que l’on prête à Marker, il y a une très grande pudeur, une extrême sensibilité aux êtres et aux choses et aussi une timidité chronique que certains prennent pour de l’arrogance.
G : Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec Marker à propos de Dimanche à Pékin  et de Django Reinhardt ?
: Pour Dimanche à Pékin, la société Pavox-Films a simplement donné de la pellicule à Marker pour qu’il puisse enfin tourner son premier film au cours de son voyage en Chine populaire. Il est parti avec la plus grande liberté de création possible et avec notre confiance. Il en fut ainsi jusqu’à la vision de la copie standard en Eastmancolor et je n’ai jamais regretté cette modeste participation à Dimanche à Pékin. Ce qui m’a particulièrement touché, c’est que Marker s’en soit souvenu et qu’il s’en souvienne encore.
G : Et pour Django Reinhardt ?
: Pour être sincère, sa collaboration a été un peu forcée. A ce moment Chris avait abordé la réalisation et refusait systématiquement d’écrire des textes. Je lui ai projeté la copie de travail de Django Reinhardt en lui demandant d’en écrire le commentaire. Il a d’abord refusé par manque de temps peut-être, mais surtout par principe. J’ai évoqué notre amitié puis pour conclure je lui ai dit : "Tu ne peux pas refuser, ne serait-ce que pour Django !" C’en était trop, il est parti furieux.
Quelques jours plus tard, il est revenu à ma salle de montage. Avec son acceptation, Chris allait me donner un très beau texte qui traduisait merveilleusement la complexité de l’âme gitane. Voici comment, malgré lui et grâce à lui, naquit le commentaire de ce film.
G : Au début de cet entretien vous avez parlé de la sensibilité du personnage Marker. Pourriez-vous préciser ?
: Oui, il cache fort bien cette sensibilité derrière une relative agressivité. Il parle rapidement sur un ton saccadé sans apparemment desserrer les dents. Seuls ceux qui le connaissent mal peuvent interpréter cette attitude comme une forme de cynisme. Marker se croyant ainsi protégé, ne tente pas de les détromper.
Sous ce masque, nous trouvons l’homme qui n’est peut-être pas à sa place dans notre époque. Bien que toute son œuvre témoigne d’une grande connaissance des problèmes de notre temps, Marker est certainement né trop tôt. Il préfigure l’homme du XXIe siècle. Lui seul à le secret d’entrer dans un bureau comme un martien débarquerait sur notre planète. Il y a quelques années lorsqu’il avait un scooter, il existait une image assez répandue d’un Marker botté, casqué et vêtu d’un long ciré vert. Une image à faire rêver Bradbury. Il est assez stupéfiant de remarquer que ce personnage venu d’une autre planète ait su si parfaitement décrire la nôtre de Pékin à la Sibérie, d’Israël à Cuba. La légende rejoint le personnage et en définitive tout s’interpénètre. Chris peut disparaître pendant de longs mois, ses amis savent qu’un jour la porte s’ouvrira, livrant passage à un Père Noël Martien portant un sac tyrolien rempli de cadeaux-souvenirs et d’images-mots. Mais cela est une autre histoire… Sachez que Chris Marker est un être secret, il a horreur que l’on parle de lui.
J’espère que les quelques propos que je viens de tenir ne me feront par perdre un ami trop rare, mais très cher."

"Entretien avec Paul Paviot" (propos recueillis par Guy Gauthier), Image et son, n° 161-162 (juin 1963), p. 58-59

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Alain RESNAIS

(3 juin 1922 - 1er mars 2014)
L'un des réalisateurs français majeurs de l'Après-Guerre à nos jours, Alain Resnais aurait pourtant préféré se cantonner, d'après ses propres mots, au seul montage. Il réalise des films dès 1936, mais c'est avec le documentaire Van Gogh  (1947), récompensé à la Biennale de Venise et aux Oscars, que sa carrière commence vraiment. Les documentaires se succèdent avec brio et ce n'est qu'à la fin des années 1950 qu'il s'adonne à la fiction, avec Hiroshima mon amour  (1959) et L'Année dernière à Marienbad  (1961).
Alors qu'il suit le Cours Simon à Paris, il rencontre Chris Marker dans les locaux de Peuple et Culture, ce dernier y étant chargé, entre autres, des ateliers de théâtre. A la suite d'une commande de l'association Présence africaine faite à Marker fin 1948, celui-ci va proposer à Alain Resnais de co-réaliser le film Les Statues meurent aussi  qui ne sortira qu'en 1953. C'est le début d'une longue amitié qui connaîtra encore quelques collaborations avant que Marker ne recherche une totale liberté.

"Guy Gauthier : Chris Marker n’a pas semblé apprécier cette idée de lui consacrer un numéro d’Image et son. Pensez-vous qu’il ait raison ?
Alain Resnais : Parler de Marker ce n’est pas commode, parce que c’est un ami, un très grand. Je comprends sa réaction, je la comprends très bien. Moi amateur de cinéma je me dis : "Un numéro consacré à Marker, ce n’est pas trop tôt, c’est la moindre des choses. Il y a même longtemps que cela aurait dû être fait"; en tant que copain, je comprends très bien la réaction de Chris : "Ce numéro va me faire passez pour une espèce de prophète, pour un théoricien, et je suis un homme libre et je ne veux faire que ce qui me plait." Malgré tout je crois qu’il est temps d’étudier l’œuvre de Marker et son influence sur le cinéma français et sur la télévision. Il a renoué avec une tradition oubliée et pour lui la bande sonore n’est pas une sorte de parent pauvre au cinéma. Il y a des idées reçues, qui ont la vie dure : une bonne musique de film, on ne doit pas l’entendre ; un bon commentaire, cela doit passer inaperçu. Evidemment je préfère un commentaire qui passe inaperçu à un commentaire gênant, outrancier, ridicule, bref, à un mauvais commentaire. Mais on ne voit pas pourquoi, sous prétexte que l’on est dans une salle de cinéma, on n’aurait pas le droit d’attacher d’importance au texte. J’irais même jusqu’à dire, en poussant les choses jusqu’à la caricature que si un jour on me présente un film dans lequel il n’y aurait pas d’images ou plus exactement dans lequel les images ne seraient que des chocs de lumière successifs, mais qui seraient accompagnées d’un texte rythmé en fonction de ces chocs de lumière, que c’est du cinéma. Il est bien certain qu’image et son font partie d’un tout et Bazin dans un de ses articles sur Marker avait fort bien posé le problème. Il s’est produit d’ailleurs une choses curieuse. Les gens disent : "Marker fait des progrès, ses textes sont moins littéraires qu’au début, ils sont plus sobres." Je crois que cela est faux: c’est le public qui s’est habitué au genre de commentaire de Chris Marker, qui en a pris la cadence et le sens, en un mot, qui s’est adapté. J’ai été frappé récemment, au cours d’une émission de télévision de constater que tout le commentaire avait très nettement un côté Marker, et jusqu’à cette façon d’imbriquer la cadence du commentaire et la cadence du montage. Pratiquement, d’ailleurs, les textes de Marker ne peuvent se passer d’images : il y a une sorte d’inter-action entre les émotions données par la plastique de l’image et celles données par le rythme, le balancement du texte. C’est sous cet aspect-là, qui est tout à fait passionnant, que Marker apporte quelque chose de neuf et qu’il n’est pas seulement un monsieur qui dépose un commentaire le long des images. Au début les gens ont été frappés surtout par son lyrisme, par sa culture, sans se rendre compte de cette soudure parfaite. Tout cela maintenant est entré dans les mœurs.
G : Pensez-vous que Marker, à condition qu’il puisse s’entendre avec l’actuelle direction de la R.T.F., puisse représenter aussi le parfait téléaste, puisque le mot est maintenant admis ?
: Il est impossible maintenant de tracer une frontière entre le cinéma et la télévision, on ne sait pas comment les choses vont évoluer. Disons simplement qu’il est peut-être plus doué qu’un autre cinéaste pour être téléaste. La télévision comporte deux aspects : l’aspect diffusion qui lui permet de faire connaître un film, comme une carte postale du Concert  de Girgione permet de faire connaître le tableau qu’on peut ensuite voir au Louvre ; cela est très positif, mais en outre, la télévision est la seule à pouvoir réaliser certaines choses dans l’immédiat. Au cinéma, il s’écoule au moins huit mois entre le moment où l’on commence à écrire le scénario et le moment où le film est projeté. Il est donc très difficile de cerner la réalité et de prévoir en même temps quelle sera la sensibilité du public un an à l’avance. La télévision au contraire qui bat des records vraiment extraordinaires, peut en une semaine s’adresser à une opinion qui est encore sensibilisée aux événements. Au cinéma, c’est un grand trou noir. Au bout du tunnel, on peut déboucher sur un public qui a oublié tel ou tel fait divers, tel incident politique. Pour communiquer avec un public dans un délai très court, comme peut le faire la télévision, Marker me paraît particulièrement doué.
G : Pouvez-vous parler du "personnage Marker" ?
: Si j’arrive à oublier que c’est un copain, il me parait un personnage fascinant, à ma connaissance unique au monde. Je ne connais personne qui puisse avoir à la fois ce sens des problèmes politiques contemporains, ce goût du beau, cette espèce de joie devant la culture et devant l’art, cet humour, et qui arrive, lorsqu’il fait un film, à ne se séparer d’aucune de ces tendances. Il est à la fois extrêmement grave et extrêmement gai dans l’immédiat ; et dans ses films, il y a tout le sens du destin de l’homme, et tout à coup, on a l’impression qu’il marche dans l’éternel ; dans l’intemporel, tout en restant aux prises avec le quotidien. Je connais des documentaires aux images bouleversantes. La critique, les spectateurs disaient : "Nous nous inclinons devant le document, c’est mieux que le cinéma", ce qui aboutirait à dire que le film était raté. C’est grave. Avec Marker, le document est aussi authentique, aussi bouleversant, et cela reste du cinéma. Il a prouvé qu’il n’y avait pas de lutte entre ce qui serait la beauté et ce qui serait la vérité, ou la morale. Il reste actuel sans prendre le point de vue de Sirius. La preuve, c’est que la censure ne s’y trompe pas et Marker est sans doute le cinéaste le plus censuré.
G : On a dit que les films de Marker étaient trop actuels pour durer.
: Si on regarde les œuvres du passé on voit que ce sont souvent les plus datées auxquelles on demeure le plus sensible, voyez Zola, voyez Fantomas. La voix de Marker, homme et poète sera entendue dans vingt ans, si toutefois il existe encore de la pellicule, et pourra à nouveau alerter les gens, ce qui est très important. J’ai vu, il y a une quinzaine d’années, un documentaire sur la guerre d’Espagne très intéressant. Mais quelle est la personne qui se souvient même du titre ? Par contre si Marker avait fait ce montage, on aurait un film qui passerait encore, que vous pourriez utiliser dans vos circuits et qui serait ressenti et compris, et qui rappellerait certaines vérités.
G : Il y a une question à laquelle vous vous attendez certainement. Vous savez qu’on a rapproché l’œuvre de Marker de la vôtre et de celle d’Agnès Varda. Qu’en pensez-vous personnellement ?
: En fin de compte, c’est la première fois qu’on me pose cette question. En définitive, c’est plus un lien que je souhaite qu’un lien que je constate. Les moments où nous avons travaillé ensemble m’ont en tous cas beaucoup influencé. J’espère d’ailleurs que nous aurons encore l’occasion de collaborer.
G : On a dit aussi que votre œuvre faisait surtout appel aux mécanismes de la fascination, et celle de Marker aux mécanismes purement intellectuels. Qu’en pensez-vous ?
: Tout dépend du terrain sur lequel s’exerce Marker. Dans La Jetée, qui est son premier film de fiction, il fait appel d’un bout à l’autre aux mécanismes de la fascination. C’est une histoire qui renoue avec les premiers films que Marker a fait en 8 mm en 1946. J’ai trouvé une matière, plus au point artistiquement, mais identique pour les images, le commentaire… C’est donc bien toujours le même homme et il n’y a pas de raison de dire qu’il ait changé. Nos liens avec Varda, Gatti, Colpi, Demy tiennent à ce que nous avons beaucoup de goûts communs. Jamais nous n’avons de discussions théoriques. Pour conclure, Marker est sans doute le seul cinéaste, avec Dziga Vertov (qui est très important, mais que je connais mal), qui soit arrivé à faire une sorte de documentaire dramatique dans lequel on puisse avoir des émotions aussi fortes que dans un film de fiction et ce qui est extraordinaire, c’est qu’il arrive à bouleverser le spectateur sans faire appel à une dramatisation de l’image. Par son montage de morceaux de réalité, il arrive à créer une seconde dimension qui est celle de l’émotion. En somme, Chris Marker est le prototype de l’homme du XXIe siècle. Il est arrivé à faire une synthèse de tous les appétits et de tous les devoirs sans jamais sacrifier les uns aux autres. Il y a d’ailleurs une théorie qui circule et qui n’est pas sans fondements et selon laquelle Marker serait un extraterrestre. Il a l’apparence d’un humain, mais il vient peut-être du futur ou d’une autre planète. Plutôt du futur, ce qui laisse penser que la race des Terriens ressemblera à Marker dans quelques siècles. Il y a des choses très bizarres. C’est un être qui ne connaît pas la maladie, qui ne connaît pas le froid, qui ne semble pas avoir besoin de sommeil.
G : Cette théorie doit enchanter Marker.
: Je ne sais pas s’il la connaît, nous n’en avons jamais parlé. Mais sa démarche me fait toujours penser à celle de l’étranger du Jour où la Terre s’arrêtera. Quand Marker marche parmi les Terriens, il semble ne pas avoir la même densité, ne pas obéir aux mêmes lois de la pesanteur.
G : A titre de métaphore, j’aime assez qu’on en fasse un homme du XXIe siècle. On a d’ailleurs dit qu’il serait l’homme d’une nouvelle Renaissance.
: Oui. On dit : la méthode de Léonard de Vinci ; peut-être que bientôt on pourra dire : la méthode de Chris Marker. J’aurais même tendance à dire que Marker est plus fort que Léonard de Vinci, car Marker, lui, va toujours au bout de ce qu’il entreprend. De Vinci à Marker, voilà un chapeau tout trouvé pour votre numéro."

"Entretien avec Alain Resnais" (propos recueillis par Guy Gauthier), Image et son, n° 161-162 (juin 1963), p. 52-53

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Mario RUSPOLI

(17 juin 1925 - 13 juin 1986)
D'origine italienne, de famille noble, Mario Ruspoli de Poggio Suasa a travaillé essentiellement en France en tant que documentariste, photographe et écrivain, mais aussi théoricien du "cinéma direct".
En 1956, il réalise Les Hommes de la baleine, un court métrage tourné aux Açores sur la pêche traditionnelle à la baleine, dont le commentaire est écrit par Chris Marker. Les deux hommes réaliseront ensemble, en 1970, un autre court métrage sur le même sujet : Vive la baleine.

"Extrêmement lucide et s’interrogeant sans cesse, Marker est probablement le cinéaste le plus intelligent et le plus adroit. Il est incapable de compromission et seul un public de gens réactionnaires par rapport à lui peut essayer de lui intenter des procès – encore qu’il ne s’agisse que de procès d’intention.
C’est une des lumières cinématographiques de l’Occident et le fait qu’il soit quelque part indique qu’il s’y passe quelque chose d’important et de positif.
Quant à son talent de cinéaste, il me semble tellement évident que je n’imagine pas qu’on puisse le mettre en doute."

"Entretien avec Mario Ruspoli" (propos recueillis par Jean Mazeas), Image et son, n° 161-162 (juin 1963), p. 55

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Lynn SACHS

Lynne Sachs (née à Memphis, Tennessee) est une cinéaste expérimentale américaine qui réalise des films, des vidéos, des installations et des projets web explorant la relation entre les observations personnelles et les expériences historiques plus générales. Elle est connue pour tisser ensemble la poésie, le collage, la peinture, la politique et le design sonore stratifié.
Au milieu des années 1980, elle décide de contacter Chris Marker et lui propose de devenir son assistante. Une relation se crée, dont elle donne l'apperçu suivant sur son site internet : lynnesachs.com.
Elle participa à la version anglaise de Vive la baleine, au générique duquel elle sera créditée en tant que "English version supervisor".

"In San Francisco, in  the mid-1980s, I saw Chris Marker’s Sans Soleil. I witnessed his mode of daring, wandering filmmaking with a camera. Alone, he traveled to Japan, Sweden and West Africa where he pondered revolution, shopping, family, and the gaze in a sweeping but intimate film essay that shook the thinking of more filmmakers than any film I know. Marker’s essay film blended an intense empathy with a global picaresque. Simultaneously playful and engaged, the film presented me with the possibility of merging my interests in cultural theory, politics, history and poetry — all aspects of my life I did not yet know how to bring together – into one artistic expression. In graduate school at that time, I wrote an analysis of the film and then boldly, perhaps naively, sent it to Marker.  In a last minute note, I also asked him if he would like an assistant in his editing studio.
Several months later, his letter from Paris arrived with a slew of cat drawings along the margins. In response to my request for a job, Marker cleverly explained that, unlike in the United States, French filmmakers could not afford assistants. And, in response to my semiotic interpretation of his movie, he explained that his friend (and my hero) Roland Barthes would not have interpreted his film the way that I had. Marker suggested that we continue this conversation in person, in San Francisco. Not long afterward, I found myself driving Chris from his hotel in Berkeley, California to Cafe Trieste, one of the most famous cafes in North Beach. There we slowly sipped our coffees in the last relic of 1960s hippy culture, talking about his films, his travels, and  my dream to be filmmaker. As the afternoon came to a close, I politely pulled out my camera and asked him if I could take his picture. “No, no, I never allow that.” And then he turned and walked away, leaving me glum, embarrassed and convinced that my new friendship with Marker was now over.
Over the next two decades, Chris and I spoke on the phone occasionally and I attended several of his rare public presentations. Three years ago, Jon Miller, president of our mutual distributor Icarus Films, contacted me to see if I would be willing to assist Chris in the making of a new English version of his 1972 film Viva la Baleine, a passionate, collage-based essay film on the plight of the whales. Of course, I was honored and immediately said yes. For one whole year, Chris and I corresponded weekly as we re-wrote and updated the narration and I searched for a male and a female voice-over actor to read the two parts. He renamed the new 2007 version of his film Three Cheers for the Whale. It is distributed  with other “bestiary” films he has made including The Case of the Grinning Cat.
After we had completed the film, I traveled to Paris with my daughters to talk with Chris about a wide range of things —  our collaboration, Stokely Carmichael (a Black activist in the American civil rights movement), Russian documentary, cats and tea. Just before we left his home, he showed me a scrapbook he’d been collecting for several years. Chris had accumulated hundreds of pictures and articles on a young African-American politician who had just embarked on a campaign to become the next president of the United States. Chris was convinced that this virtually unknown candidate could stand up to a historically racist United States of America and win. I was doubtful.”  (Lynne Sachs)


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Jorge SEMPRUN

(10 décembre 1923 - 7 juin 2011)
Jorge Semprùn Maura est homme de lettres et homme politique. Bien qu'Espagnol, la plus grande partie de son oeuvre est écrite en français (une vingtaine de romans et une quinzaine de scénarios en tout). Durant la Seconde Guerre mondiale, vivant à Paris, il entre dans la Résistance, mais arrêté par la Gestapo, il est déporté au camp de concentration de Buchenwald, faits qui imprègnent l'essentiel de ses écrits, avec la guerre d'Espagne.
Il épouse Loleh Bellon (1925-1999), soeur cadette de Yannick, filles de la photographe Denise Bellon (1902-1999).
Parmi les nombreux scénario qui sortent de sa plume, on trouve L'Aveu  (1970) de Costa-Gavras, film sur lequel Chris Marker est photographe de plateau et à partir duquel il réalise deux courts métrages documentaires : Jour de tournage  et On vous parle de Prague : le 2nd procès d'Artur London. Quelques années plus tard, Marker sera monteur et ingénieur du son des Deux mémoires  (1974), un film écrit et réalisé par Semprun.
Tous deux sont des proches du couple Montand-Signoret.

"Donc, Montand se demandait que faire pour manifester sa solidarité aux réfugiés chiliens. Et l'idée lui vint de remonter exceptionnellement sur les planches, pour un unique récital à leur bénéfice.
C'est à Auteuil qu'il nous en parla. C'est à Auteuil qu'il s'y prépara, pendant la dizaine de jours qui lui restaient, en tout et pour tout, avant la seule date possible, à l'Olympia.
On peut suivre cette aventure dans La Solitude du chanteur de fond, de Chris Marker.
Mais c'est vrai que je ne vous ai pas présenté Chris. Il est apparu plusieurs fois dans ce récit, subrepticement, mais je ne vous l'ai pas encore présenté. Peut-être parce qu'il est difficile à présenter. Je ne veux pas dire par là qu'il soit imprésentable, mais plutôt qu'il se présente très bien tout seul. Par ses films, entre autres. Mais peut-être ne l'ai-je pas présenté pour une autre raison encore. Parce qu'il fait partie de la famille depuis si longtemps qu'on oublie tout naturellement de le présenter aux nouveaux venus. Et vous êtes, chers lecteurs, avec tout le respect que je vous dois, des nouveaux venus dans cette histoire. Donc, disais-je, Chris est là, depuis toujours, quelque part dans un coin - car sa façon à lui d'être au centre des choses, des évènements, c'est de passer inaperçu - depuis le Sabot bleu de Neuilly, dans l'adolescence éclatante de Simone Signoret. Mais cet épisode, c'est elle qui l'a raconté. Je ne fais que le mentionner en passant.
Je dirai pourtant, avant de revenir à La Solitude du chanteur de fond, quels sont les points qui me lient à Chris Marker. D'abord, il est comme moi amoureux de Giraudoux. Il était en même temps que moi au dernier balcon de l'Athénée, pour entendre Louis Jouvet dire son nom, dans Ondine : "Je m'appelle Hans..." Nous avons découvert beaucoup plus tard cet amour commun. Ensuite, il a assez lu tout au long de sa vie, dans tous les genres et toutes les langues, pour n'être pas livresque. Il a assez de culture pour n'être pas cuistre. Troisièmement, il ne méprise ni les quotidiens, ni les bandes dessinées, ni les émissions de télévision. C'est même un champion du magnétoscope. Inappréciable qualité pour un intellectuel, surtout de gauche. Et puis, last but not least, comme on disait à l'époque où le français était vraiment une langue universelle ne craignant pas les xénologismes, Chris a sur les jeunes femmes un regard que j'aime bien. A moins que ce ne soit l'inverse : que j'aime bien les jeunes femmes sur lesquelles il a un certain regard. A ce sujet, je ferai une seule réserve : il me semble que le bestiaire de son langage à propos des jeunes femmes est, par moments, trop idyllique, trop idéalisé. Il compare à des écureuils des jeunes femmes que je qualifierais plutôt de chats sauvages. Ou des marmottes, au contraire.
En somme, la seule chose qui fait obstacle entre lui et moi - qui pose problème, comme on dit salement aujourd'hui, comme si ça posait problème comme on pose culotte -, la seule chose qui parfois me sépare de lui, c'est qu'il me semble avoir gardé dans un coin de son coeur l'espoir du paradis sur terre. Peut-être pas du paradis, tout compte fait, mais du bonheur dans ses grandes lignes. Quelque part, ici ou là, pour une période plus ou moins longue, il me semble qu'il lui semble avoir trouvé la contrée du bonheur.
Et je ne fais pas allusion ici à sa passion pour le Japon, bien sûr. D'ailleurs Chris m'aura compris : ce n'est pas le paradis, ni même le bonheur qui l'attirent au Japon, c'est le masque de la vie démasquée. Le masque poli, policé, de la mort sur les visages multiples de la vie. Le masque démaquillant de l'au-delà sur l'être-là. En fin de compte, si l'ironie est la politesse du désespoir, selon une expression qu'on attribue souvent à Chris Marker, le Japon serait la courtoisie de l'irrémédiable finitude humaine."

Jorge Semprun, Montand, la vie continue, Paris: Denoël - Joseph Clims, 1983, p. 219-220

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Yves SIMON

(Né le 3 mai 1944)
Yves Maurice Marcel Simon est un auteur-compositeur-interprète et un écrivain français. Le reste est dans le témoignage ci-dessous !

"Lorsque j'ai vu La Jetée, ce fut un choc. J'avais 20 ans, j'étais en classe préparatoire pour l'IDHEC. Le film a un côté assez immédiat, on se dit même que ça a l'air facile à faire, un film uniquement constitué de photo (à une exception prêt). Mais on n'en perce jamais le mystère. Chris m'avait offert le livre tiré du film il y a quelques années. J'ai beau lire et relire le texte, à chaque fois je me demande où est la faille, quand le film bascule… C'est un des films les plus importants du 20e siècle, une œuvre forte comme on n'en rencontre qu'une fois tous les vingt ans.
Il adorait les chats, il est venu chez moi photographier un chat dessiné par M. Chat qui était sur un mur en face.
Il m'envoyait, ainsi qu'à une dizaine d'autres personnes, des images faisant intervenir son avatar, Guillaume-en-Egypte, commentant l'actualité. Avant Internet, il faisait déjà ça par fax. J'ai des piles de fax de lui de ce genre.
Nous nous sommes vus deux fois à Tokyo. Nous nous promenions la nuit dans la ville, nous adorions Shinjuku, cet espace protégé au sein de Golden Gai, plein de bars sur un étage. C'est là que se trouve La Jetée, un bar tenu par Tomoyo Kawai, une cinéphile japonaise férue des films de la Nouvelle Vague. Là bas, on pouvait croiser Wim Wenders, qui a d'ailleurs tourné son documentaire Tokyo Ga  dans lequel il y a une scène où il essaie de filmer Chris.
Un jour, je reçois une carte du Japon signée Chris / Wim / Francis. A son retour, je lui dis que je sais qui est Wim (Wenders) mais je lui demande qui est «Francis». Il me répond «Coppola !». Il était admiré de beaucoup de cinéastes.
Chris a écrit un livre magnifique sur le Japon, Le Dépays, comprenant des photos et un très beau texte. Il avait un talent d'écriture incroyable. Dans Sans Soleil, on entend cette phrase qui m'avait beaucoup marqué: "Saviez-vous qu'il y a des émeus en Ile-de-France ?". C'est tout Chris ce genre de phrase.
Je l'ai rencontré parce que j'habite Place Dauphine et qu'il a longtemps habité là. Comme il était désargenté, il était logé par ses amis Simone Signoret et Yves Montand (il avait rencontré Simone Signoret au lycée à Neuilly), qui lui prêtaient quatre chambres de bonnes rassemblées. Je connaissais Simone Signoret et je l'ai rencontré par son intermédiaire. Quand Simone est morte, j'étais avec Chris, je lui ai demandé comment ça allait. Il m'a répondu : "Je bétonne".
Il portait une tenue, non pas militaire – il était trop anti militariste pour cela - mais plutôt de baroudeur, une veste kaki. Il avait le crâne rasé, un visage très mince, ascétique. Il mangeait peu et buvait du thé.
Quand il est décédé, je n'imaginais pas que sa disparition aurait un tel retentissement. J'ai lu des articles érudits le concernant. Je n'imaginais pas cela. Quand je le mentionnais dans des entretiens, j'avais souvent l'impression qu'on ne voyait pas de qui je parlais.
Ce fut une chance immense pour moi de l'avoir connu."

Témoignage paru dans l'article de Nicolas Rioult, "A la rencontre de Chris Marker", Première, 20 novembre 2013.

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Alexandra STEWART

Alexandra Stewart est une actrice canadienne, en partie connue pour avoir joué dans un feuilleton de l'ORTF, L'Homme qui revient de loin  (1972) de Michel Wyn et aussi dans Exodus (1960) d'Otto Preminger. Dans ses "mémoires" parues en 2014 sous le titre Le Bel âge, elle accorde quelques pages à Chris Marker qu'elle a rencontré, par l'entremise de Ghislain Cloquet, à l'occasion du tournage de Description d'un combat  (1961). Une amitié naît alors qui ne se démentira jamais. De son côté, Marker place le portrait d'Alexandra Stewart dans La Jetée  et reprend celui de La Brûlure de mille soleils  de Pierre Kast, dont le montage est fait par Marker, dans sa série de photographies Staring Back.

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Agnès VARDA

Agnés Varda, de son vrai prénom Arlette, est une réalisatrice française, membre de la "Nouvelle Vague", qui touche aussi bien à la fiction qu'au documentaire.
Grande amie de Chris Marker depuis les années 1950, tous deux n'ont cependant jamais travaillé ensemble, à l'exception du documentaire collectif Loin du Vietnam (1967), duquel elle se retirera finalement. Quoiqu'il en soit, d'après les dires même de la réalisatrice-photographe, leur rencontre remonterait au tournage de son film La Pointe courte  (1955), sur lequel Alain Resnais, qui s'occupait du montage, les aurait présentés. La mention de "conseillère en sinologie" du générique de Dimanche à Pékin  (1956) est un clin d'oeil plus qu'un fait, d'après le témoignage de Paul Paviot. Et, de même, Agnès Varda fera un clin d'oeil sur son amitié avec Chris Marker par l'entremise de Guillaume-en-Egypte dans son film Les Plages d'Agnès  (2008).

"Je n'aime pas parler de mes amis de façon officielle, et leur œuvre, à mes yeux, fait partie d'eux-mêmes, c'est-à-dire que je n'en peux parler que comme si je ne les connaissais pas, bref devenir critique et je ne le suis pas.
Chris Marker fait dans le cinéma figure d'original secret, d'essayiste super-intelligent, de documentariste socialiste et de candidat collé à l'examen de censure. On dit qu'il est à l'intelligence-service de quelques-uns d'entre nous, on dit qu'il tourne dès le lendemain de son arrivée dans un pays, on dit que ses documentaires sont emplis de références précieuses et sybillines, on ne sait pas où il habite, personne ne l'a jamais photographié, il est né dans plusieurs pays à la fois, etc...
Tout cela est vrai, peut-être, et faux, sans doute. J'aime autant que lui les légendes, et j'ajoute que j'ai plaisir à retrouver, par-ci par-là, semées par lui, des graines écloses de sa mythologie personnelle.
Par exemple, à Cuba, un an après le passage de Marker-ami-des-chouettes, le papier à lettres de la Cinémathèque Cubaine porte fièrement une en-tête de chouette.
Si j'étais critique, je dirais que son œuvre est originale vraiment.
Car il a la simplicité de penser que ce qui l'intéresse (il est curieux de tout) intéresse aussi les autres. Il est chroniqueur, témoin, baladin.
Il est homme de culture puisque ses connaissances et ses curiosités sont organisées et sans cesse reclassées dans les tiroirs de son esprit.
Il a certains tiroirs préférés, qu'il ouvre souvent : les chats, Giraudoux, les jeunes sportifs, Mars et la Lune, Michaux, les jeunes filles, les chouettes, le saugrenu, etc...
Il ne craint pas de mélanger les genres au point d'avoir imposé un genre : l'essai-cinématographique ; bref, c'est un cinéaste globe-trotter, et son goût de l'aventure, de la découverte, de la rencontre, lui permettent de faire un cinéma didactique au bon sens du mot.
Et puis il aime s'amuser, faire des jeux d'image et des jeux de mots efficaces. Qui l'aime le suive, sa route semble bonne, mais je ne le crois pas du type chef-d'école, il a trop envie d'être lui-même, sans cesse différent et son film La Jetée, par exemple, prouve assez qu'il sait inventer un langage nouveau, partant du photo-roman.
Et être tendre comme l'amande au milieu du noyau.
Si j'étais producteur, je parlerais si bien de Marker aux distributeurs qu'ils produiraient des Marker sans même lire les sujets, et l'on verrait qu'il sait aussi faire des films de fiction sans science et de combat sans chronique."

"Témoignage d'Agnès Varda" (propos recueillis par Guy Gauthier), Image et son, n°161-162 (1963), p. 56


A noter qu'en décembre 2011, Arte a diffusé pour la première fois la mini-série documentaire réalisée et commentée par Agnès Varda, intitulée Agnès de ci de là Varda, soit 5 épisodes de 45 minutes. Le résumé proposé sur le site d'Arte précise :

"Partout où elle va, la cinéaste nomade pointe sa caméra sur ceux qu'elle rencontre, artistes célèbres ou artisans du quotidien, composant ainsi une oeuvre à son image."

Et parmi ces amis célèbres, on retrouve bien sûr, dans le premier épisode, Chris Marker (hors champ) pour une rapide visite de son atelier. A la fin de cette visite, Marker montre quelques unes fort similaires du magazine Time et dévoile par la même occasion un détail de sa vie d'antan.
On peut acheter la série ici ou ici en coffret dvd.

Par ailleurs, en 2011, les Rencontres d'Arles ont mis à l'honneur le travail de Chris Marker "photographe" et tout particulièrement sa dernière production, à savoir Passengers  (2011), exposée en juin pour la première fois à la Peter Blum Gallery de New York.
C'est dans ce contexte que l'hebdomadaire Télérama demande à Agnès Varda de décrire l'exposition du Palais de l'Archevêché et de parler un peu de son ami de longue date.

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Le Médium

portrait Chris Marker louis marcoussis medium 1946

Portrait de Chris Marker par Louis Marcoussis (1940)