Co-réalisation de Chris Marker
- Les statues meurent aussi / Alain Resnais et Ghislain Cloquet
- Les astronautes / Walerian Borowczyk
- Le joli mai / Pierre Lhomme
- À bientôt j'espère... / Mario Marret
- La sixième face du Pentagone / François Reichenbach
- Jour de tournage / Pierre Mignot [ou Dupouey]
- La bataille des dix millions / Valérie Mayoux
- Vive la baleine / Mario Ruspoli
- Un maire au Kosovo / François Crémieux
- Le souvenir d'un avenir / Yannick Bellon
- Le regard du bourreau (Henchman Glance) / Léo Hurwitz
- L'Ouvroir - the movie / Max Moswitzer
Cette catégorie comporte les films, longs métrages et courts métrages, co-réalisés par Chris Marker. Par ailleurs, la co-réalisation peut être de différentes sortes: de très partielle, comme pour Les astronautes, à complète, comme pour Les statues meurent aussi.
Les films sont proposés ici dans l'ordre chronologique croissant.
Les statues meurent aussi / Alain Resnais et Ghislain Cloquet
1953 - France - 32' - 35 mm - N&B
"Pourquoi l'art nègre se trouve-t-il au musée de l'Homme, alors que l'art grec ou égyptien est au Louvre?"
Les statues meurent aussi, c'est l'aventure de trois hommes (Resnais, Marker, Cloquet), passionnés par le cinéma, et désireux de revoir l'histoire d'un monde trop malmené par le regard de l'homme blanc: l'Afrique noire.
Dans son interview donnée, en mars 1957, à Simone Dubreuilh, pour Les lettres françaises, le journal culturel et littéraire hebdomadaire dirigé par Aragon et partiellement financé par le PCF, Marker précise, au sujet de sa collaboration pour Les statues meurent aussi avec Alain Resnais, qu'ils ont "vraiment tout pensé ensemble. Il s'est agi d'un jumelage assez rare. La première idée: un film sur l'art nègre, date de la fin de l'année 48 et du début de l'année 49."1
Il faut se rappeler qu'Alain Resnais est alors en pleine gloire avec son court-métrage Van Gogh primé à Venise en 1948 et "oscarisé" en 1949. Renouvelant le genre du documentaire d'art d'une manière magistrale, tout le monde veut son "Van Gogh" et les commandes affluent de tous côtés. L'idée d'un film sur l'art nègre n'est donc en rien surprenant, si ce n'est que c'est un projet qui trotte dans la tête de Resnais et celle de son ami Marker, et non d'un producteur greedy. Il ne faut pas oublier non plus qu'à cette date le contexte est favorable au développement de ce sujet, que ce soit avec la Constitution de 1946, les contre-effets de la guerre d'Indochine qui bat son plein ou l'adoption en décembre 1948, par l'ONU de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, prémisse propice à la décolonisation, en particulier celle de l'Afrique.
Dans une interview accordée à Birgit Kämper et Thomas Tode, en 1996, dans le cadre de leur "biographie" sur Chris Marker (un ouvrage incontournable), intitulée Chris Marker. Filmessayist (1997), Alain Resnais revient sur la génèse et l'entreprise des Statues meurent aussi. À la question "comment est née l'idée de son premier film avec Chris Marker, Les statues meurent aussi, il répond:
"Si trattava di un film su commissione. Un'associazione, Présence Africaine, l'aveva proposto à Chris, che mi chiese se volevamo realizzarlo assieme, perché pensava che sarebbe stato più divertente e piacevole. Chris ha scritto la sceneggiatura e il testo, ma stavamo entrambi alla macchina da presa, con Ghislain Cloquet, e alla moviola. Ci siamo messi d'accordo sugli oggetti da mostrare. Non è stato sempre facile, perché nessuno dei due era un esperto d'arte africana, ma abbiamo imparato molto facendo il film. E il bello di fare un documentario. Ci si occupa di cose che altrimenti si ingnorebbero. Il film è stato per noi un'occasione per occuparci di arte africana. Ci siamo recati a Londra et a Bruxelles e abbiamo visitato collezionisti privati e, alla fine, eravamo quasi degli esperti. Il nostro esperto in arte africana, Charles Ratton, si è quasi sempre congratulato con noi per le nostre scelte. Mentre lavoravamo al film, non immaginavamo che avrebbe suscitato tante polemiche. L'avessimo immaginato, ci saremmo cauteli con un contratto. Ma, di fatto, non c'era contratto fra noi e l'associazione."2
Et effectivement la réalisation de ce film fut difficile. Resnais, dans une autre interview accordée à la revue Image et son, en 1962, répondant à la question de savoir s'il referait un court métrage, précise que "le court métrage est moins rentable et nécessite un travail au moins aussi intense qu'un long film. Je n'ai pas connu, dit-il, des conditions plus impossibles, des difficultés plus exténuantes, des démarches plus fastidieuses que pour Les statues... Vous ne pouvez pas imaginer les ennuis que nous avons eus, Chris et moi, avec ce film!"3
Mais le tournage a réservé quelques bons moments aussi. Marker dans une interview accordée au journal Libération en 2003, comparant l'usage du DVD à la projection cinématographique, se souvient du séjour londonien.
"Je viens de regarder le ballet d'Un Américain à Paris, explique t-il, sur l'écran de mon iBook, et j'ai quasiment retrouvé l'allégresse que nous éprouvions à Londres en 1950, avec Resnais et Cloquet, pendant le tournage des Statues meurent aussi, lorsque tous les matins, à la séance de 10 heures du cinéma de Leicester Square, nous commencions la journée de travail en revoyant le film."4
Lorsque l'on parle des Statues meurent aussi, il est un personnage qui reste toujours dans l'ombre: Ghislain Cloquet. Pourtant, il décrivit aussi son expérience du tournage des Statues... dans un document peu connu, paru dans L'écran français en septembre 1952, à travers lequel il nous offre un autre regard non dénué d'intérêt:
"Bien sûr, je dois avoir un point de vue assez particulier sur ce film, puisque j'en suis l'opérateur. Mon principal étonnement est d'avoir eu l'immense chance, littéralement inespérée, de le tourner, car tous les opérateurs de moins de trente ans vous diront qu'ils faut aujourd'hui une singulière conjonction de circonstances pour participer à un court métrage pourvu d'un vrai scénario (Chris Marker) dirigé par un vrai metteur en scène (Alain Resnais) et de parvenir, à travers les vicissitudes d'usage, au bout de ces deux cent soixante-cinq plans sans avoir eu à consentir de sacrifices infamants. Je veux bien qu'il ait fallu y mettre de l'acharnement; ce n'est pas de but en blanc que la caméra fut préférée à l'appareil photographique, les voyages à Londres et à Bruxelles préférés au photofilmage des cartes postales représentant les pièces rares, etc. Le spectateur dira s'il y a gagné. Pour moi, je pensais jusqu'ici qu'il y avait, pour un technicien, trois éventualités; la première, sans conteste, le chômage; la seconde, les films-biftecks, qu'on tourne le mieux qu'on peut, en finissant par croire à des sujets idiots, en se persuadant que l'indigence matérielle est une grande inspiratrice et qu'on ne sait jamais... Un nouveau style est toujours prêt à naître. Et, enfin, les films qui vous donnent l'impression de "faire votre métier". C'est la meilleure surprise dont je veuille me souvenir en pensant à Les statues meurent aussi. La photographie se met à jouer un rôle, les problèmes naissent (une erreur de compréhension du scénario est une catastrophe), l'exigence des autres vous oblige à repenser les formules, à "apprendre" votre métier (l'occasion est devenue trop rare de le faire dans une équipe), la solution honnête n'est plus assez bonne; les idées naissent, elles sont essayées et le travail avance avec pour chacun le sentiment de traduire les autres. C'est un peu d'oxygène dans une année d'étouffement, c'est une petite demi-heure arrachée aux limbes de la production; il faut en obtenir d'autres, le cinéma ne vit pas d'autre chose. Si le public veut compter sur nous, il faut qu'il sache que nous comptons sur lui."5
Mais pour pouvoir compter sur le public, il faut pouvoir diffuser l'oeuvre, lui montrer le travail. Et là, c'est cause perdue.
En effet, ce qui a marqué Les statues meurent aussi ce n'est pas tant le sujet ou son traitement, mais bien la censure (totalement injustifiée) dont le film été victime avant même sa sortie.
On a beaucoup écrit à ce sujet, de Resnais lui même, à Georges Sadoul, en passant par les historiens d'aujourd'hui. Nous survolerons donc l'histoire en résumant l'essentiel.
En France, dans l'immédiat après-guerre, les visas d'exploitation des films sont accordés par la Commission de contrôle des films cinématographiques (CCFC), présidée par un conseiller d'État, et rattachée au Centre national de la cinématographie (CNC) créé en 1946.
Marker, dans sa toute première édition des Commentaires (1961), donne, non sans amertume, le résumé de l'affaire suivant:
"Voici un film dont a beaucoup parlé. Un peu trop, sans doute. Et il est probable que, relâché par une Censure qui le garde sous clef depuis dix ans, il décevrait. Le "colonialisme" qu'il met en accusation dans sa dernière partie, qui le revendique en ces temps éclairés et décolonisateurs que nous vivons? En fait, et même à l'époque de sa réalisation, les raisons de l'interdiction de ce " Grandeur et Décadence de l'Art Nègre" n'ont jamais été très claires. Elles visaient vraisemblablement plus la forme que le fond, et plus précisément une certaine règle du jeu, un certain code non respecté, que "la forme". Ainsi, des Fonctionnaires qui apparaissaient au hasard des bandes d'actualités utilisées dans la dernière bobine, et dont le visage était aussi inconnu des auteurs que le public, n'ont jamais pu se défaire de l'idée (étrangement flatteuse) qu'ils étaient pris personnellement à partie. Or il est bien établi que le pamphlet, genre admis et honoré en littérature, ne l'est pas au cinéma, divertissement des masses.
Mais il ne s'agit pas de reprendre ici une querelle désormais sans intérêts. Seulement quelques repères: entrepris en 1950 à la demande de Présence Africaine, le film était achevé en 1953, malgré, après avoir été interrompu à cause de, et commencé grâce à Tadié-Cinéma-Productions.
La Commission de Contrôle lui refusait son visa de la façon tartuffe qui est la sienne, signalant la nécessité de coupures mais se gardant de préciser lesquelles "pour ne pas se substituer aux auteurs" (voir Appendice et pièces justificatives). Après quoi, c'étaient dix ans de silence, puis la sortie commerciale des deux premières bobines - opération à laquelle les auteurs avaient consenti à la condition que la copie ainsi mutilée fût précédée d'un carton annonçant "Copie tronquée - à ne pas confondre avec l'original". Mais le producteur qui s'était engagé à respecter cette condition l'oubliait au dernier moment…
En même temps, de vagues rumeurs faisaient état de la possibilité d'une autorisation prochaine. Si elles se confirmaient, ce délai de dix ans entre la réalisation et l'autorisation permettrait au moins d'apporter une donnée concrète dans une question jusqu'alors difficile à chiffrer: de combien les Pouvoirs publics retardent-ils sur la réalité?"6
En fait, le dossier de la CCFC est toujours conservés au CNC. François Fronty l'a consulté et en donne un descriptif détaillé, disponible gratuitement sur le web7.
Le 24 février 1953, le film est enregistré au Registre public de la cinématographie, sous le numéro 13-848. Il mesure alors 880 m et est coproduit par Présence Africaine et Tadié Cinéma Production. Tadié dépose aussi une demande de visa avec un "découpage dialogué du film dans sa forme intégrale et définitive".
Le 24 mars, le compte rendu de la CCFC renvoie le dossier à la commission plénière. Le représentant de l'Éducation nationale, un certain M. Bazin, fait remarquer que "les deux première bobines intéressantes du point de vue de l'art nègre et totalement indépendantes de la 3ème bobine, subversive, pourraient être autorisée."
Le 23 juin, Tadié revient à la charge, demandant de préciser quels passages seraient sujet à coupure et précisant que le film est sélectionné pour le prochain Festival de Cannes, et probablement pour ceux de Venise et d'Edimbourg.
Le 8 juillet, faute de présents, la décision est remise à plus tard, mais un premier vote a déjà eu lieu qui montre clairement le fossé qui sépare les représentants des ministères aux professionnels du cinéma. En effet, le vote porte sur la coupure de la 3eme bobine, "à partir de la séquence XV, à la fin, plan 227 à 362". Présidence, Défense Nationale, Intérieur, Affaires étrangères, France d'Outre-Mer, Justice, Éducation nationale, Santé publique et population, votent pour. Réalisateurs de longs métrages, producteurs, distributeurs, exportateurs, exploitants, producteurs et réalisateurs de courts métrages, ciné-clubs et critiques, votent contre. Les associations de familles s'abstiennent.
Le 31 juillet, le Président de la CCFC, M. Henry de Segogne, informe Tadié que la décision de visa est reportée en octobre et suggère de "mettre la période d'été à profit pour apporter les modifications désirables."
Le 24 mars 1954, la décision est défavorable "en raison de la tendance exprimée tant par certaines images que par leur commentaire qui sont de nature à susciter des réactions contraires à l'ordre public", ceci alors même que le film est sélectionné pour le Festival de Cannes.
Les demandes de révision de la décision de cette censure, non justifiée, se succèdent toujours sans succès, de même que les demandes pour des projections privées ou restreintes, elles aussi refusées, ceci jusqu'à ce qu'en 1958, le 17 décembre, la CCFC autorise une exploitation commerciale pour une bobine de 598 mètre seulement.
Le 5 novembre 1962, Jean Dours, directeur de cabinet du Ministre de l'information confirme une nouvelle fois la censure.
Ce n'est finalement que le 19 octobre 1964, qu'Alain Peyrefitte, ministre chargé de l'Information, lève la censure et accorde un visa d'exploitation aux Statues meurent aussi.
À noter cependant que le 16 juin 1971, le CNC constatera un nouveau métrage du film de 856 m.
Parmi les (trop) rares films sur la décolonisation qui nous sont parvenus, on peut noter Afrique 50 (1950) de René Vautier (le grand "chouchou" de la censure française) et Terre tunisienne (1951) de Raymond Vogel et Jean-Jacques Sirkis, également censuré.
Le titre, nous apprends Resnais, est un hommage de Chris Marker au dramaturge allemand Bertolt Brecht. Il reprend en effet l'unique scénario de ce dernier pour Hollywood, qui fut tourné par Fritz Lang en 1943, sous le titre Les bourreaux meurent aussi.9
Il faut noter, par ailleurs, que pour Marker, l'aventure des Statues meurent aussi ne s'est pas limitée à l'écriture du commentaire, mais qu'elle a aussi été le fruit d'un autre texte. En effet, Marker à participer au même moment à l'ouvrage L'Afrique noire paru en 1952 aux éditions Odé, sous la direction de Doré Ogrizek, dans lequel il a écrit le texte sur l'art africain, intitulé tout simplement Art noir8. Cet ouvrage est tout aussi virulent et critique que le film de Resnais et Marker, mais il s'agit d'un texte imprimé, alors la censure n'a pas fait de vagues, car comme le décrit si bien Alain Resnais dans son interview donnée à Kämper et Tode: "Se si fosse trattato di un articolo in una rivista, nessuno se ne sarebbe dato pensiero. Ma si trattava di un film e il fatto ha sollevato un polverone di polemiche. L'accaduto dimostra quanto il cinema zoppicasse all'epoca dietro alla letteratura."10 Ce que Marker expériementera encore avec Cuba Si! ou L'aveu de Costa Gavras.
Enfin, relevons les propos de Paulin Vieyra, parus dans la revue Présence Africaine, en décembre 1956:
"À notre connaissance, aucun film français romancé et de long métrage ne répond à notre quatrième division des genres. Seuls donc essentiellement les courts métrages dans le cinéma français parlent de l'Afrique comme souvent nous aimerions la voir offerte aux spectateurs de France. Nommons-en quelques-uns des plus caractéristiques: sur les plans idéologique et politique, Afrique 50 de Vautier et Vogel; sur les plans culturel et politique, Les statues meurent aussi d'Alain Resnais et Chris Marker, produit sous la direction de Présence Africaine; sur le plan social et humain, Jaguar de Jean Rouch; sur le plan ethnographique et sociologique, Les fils de l'eau du même Jean Rouch. Il est est à remarquer malheureusement que tous ces films ne sont vus que par un petit nombre de spectateurs, soit parce qu'ils sont interdits soit parce qu'ils trouvent difficilement un distributeur"11.
Enfin, précisons que la Monnaie de Paris présenta, du 8 septembre au 2 octobre 2010, une exposition intitulée Ode au grand art africain: "Les statues meurent aussi", sur les traces du film de Resnais, Marker et Cloquet, dont on a donné le résumé suivant:
"Pour la première fois, une partie des œuvres présentées dans ce film et conservées aujourd'hui dans les plus grands musées (Barbier-Mueller, Dapper, etc…) et collections privées seront rassemblées dans une exposition et exposées en marge de la diffusion du film en boucle dans les salles de la Monnaie de Paris. Elles seront accompagnées de tirages grand format de nombreux photogrammes du film, pour mettre en exergue le travail de composition et d'interprétation de Ghislain Cloquet, directeur de la photographie qui reçut, en 1981, l'oscar de la meilleure photographie pour son travail sur Tess."
Un catalogue de cette exposition a été édité sous la direction d'Elena Martinez. "Il dresse l'inventaire complet et systématique des 135 pièces filmées par Alain Resnais et Chris Marker en 1953 dans les plus grandes collections privées et muséales", accompagné de plusieurs textes sur la portée du film et son contexte.
Alain Resnais à propos de l'interdiction du film Les statues meurent aussi.
Enfin, notons qu'en 2018, Présence africaine et la Cinémathèque française ont entrepris la première restauration des Statues meurent aussi, ainsi que sa numérisation.
Générique (début, dans l'ordre d'apparition)
"Ce film a pu être réalisé grâce à l'aimable concours de MM. les Trustees du British Museum, de la Direction du Musée du Congo Belge, de la Direction du Musée de l'Homme et de Mr. H.J. Braunholtz C.B.E., M.A., Mr. Henri Belly, Mr. Lucien Coutaud, Dr. Gaston Durville, Mr. Jacob Epstein, Mr. William B. Fagg, M.A., Mr. René Gaffé, Mr. Henri Goetz, Mme la Princesse Héléna Gourielli, Mr. Hans Hartung, R. P. Hennion, Mr. Charles Lapicque, Mr. Albert Maesen, conservateur du Musée du Congo Belge, Mr. Henri Milet, Mr. Frans M. Olbrechts, directeur du Musée du Congo Belge, Mr. Pierre Peissi, Mr. le Colonel Pitt Rivers, M. et Mme Webster Plass, Mr. René Rasmussen, Mlle Madeleine Rousseau, Mr. Edmond Séchan, les Editions du Soleil Noir, Mr. Tristant Tzara, Mme Suzanne Vérité.
Tadié-Cinéma-Production présente:
Les statues meurent aussi
réalisation: Alain Resnais, Chris Marker et Ghislain Cloquet
conseiller artistique: Charles Ratton
musique: Guy Bernard
Orchestre sous la direction de André Hodeir
Texte dit par Jean Négroni
enregistrement: Studios Marignan
ingénieur du son: René Louge
trucages: Tadié-Cinéma Technique
laboratoires: L.T.C. Saint-Cloud
Un film de la revue Présence Africaine
Prix Jean Vigo du court métrage - 1954
Distribution: Présence Africaine
Commentaire / scénario: voir la page dédiée de ce site ICI.
Notes
1 "Flashes sur les jeunes réalisateurs français: Chris Marker", interview donnée à Simone Dubreuilh pour Les lettres françaises, n° 664 (28/03/1957), p. 6. A noter que Ghislain Cloquet, souvent oublié, figure au générique en tant que réalisateur avec les deux autres.
2 "Intervista con Alain Resnais" di Birgit Kämper e Thomas Tode, in Bernard EISENSCHITZ (dir.), Chris Marker, Festival de Pesaro, Rome: Dino Audino Editore, 1996, p. 45, traduction italienne par Francesco Bono de l'original en allemand paru dans Birgit Kämper / Thomas Tode (dir.), Chris Marker. Filmessayist, Munich: Institut Français / CICIM, 1997, p. 205
3 "Enquête sur le court-métrage: réalisateurs. Que pensez-vous de votre carrière et de votre oeuvre?", Image et son, n° 150-151 (1962), p. 53-54 (Alain Resnais)
4 "Rare Marker", interview accordée à Samuel Douhaire et Annick Rivoire pour Libération, n° 6783 (05 mars), p. I-IV ; traduction: (GB) in Film Comment, n° XXXIX/3 (05-06/2003), p. 38-41
5 Ghislain Cloquet, "Le point de vue de l'opérateur sur le film d'Alain Resnais Les statues meurent aussi", L'écran français, n° 374 (18/09/1952), p. 1. En fait, L'écran français est alors imprimé dans les dernières pages des Lettres françaises, à savoir ici le n° 431.
6 Chris Marker, Commentaires, Paris: Le Seuil, 1961, p. 9. Il existe une seconde édition de 1961, intitulée Commentaires 1, dans laquelle Marker a retranché ses descriptions et les pièces justificatives.
7 Fronty nous offre un document fort utile, ayant été jusqu'à repérer les modifications du texte de Chris Marker, car il y en a eues, entre la première version déposée et la dernière version autorisée. Cependant, sur la partie historique et analytique, il commet de nombreuses erreurs et doit donc être consulté avec précaution. (web)
8 L'Afrique noire, Paris: éd. Odé, 1952, 460 p., sous la dir. de Doré Ogrizek. L'article de Marker est aux pages 29 à 49.
9 Suzanne Liandrat-Guigues et Jean-Louis Leutrat, Alain Resnais, liaisons secrètes, accords vagabonds, Paris: Cahiers du cinéma, 2006, p. 45
10 Voir la note 2 ci-dessus.
11 "Quand le cinéma français parle au nom de l'Afrique noire", Présence africaine, n° 11 (12/1956 - 11/1957), p. 145
Bibliographie
- (FR) Ghislain CLOQUET, "Le point de vue de l'opérateur sur le film d'Alain Resnais, Les statues meurent aussi", L'écran français, n° 374 (18/09/1952), p. 10
- (FR) Georges SADOUL, "Censure à Cannes", Les lettres françaises, n° 463 (30/04/1953), p. 1
- (FR) Georges SADOUL, "Pauvres Français, ah! que Dieu vous délivre...", Les lettres françaises, n° 509 (25/03/1954), p. 1 et 10
- (FR) Pierre MICHAUT, "Promenade parmi les films d'art de Venise à Cannes", Cahiers du cinéma, n° 37 (07/1954), p. 20-27
- (FR) André BAZIN, "Encore la censure: les films meurent aussi", France observateur, n° 349 (17/01/1957), p. 19-20
- (FR) anonyme, "Censure", Positif, n° 21 (02/1957), p. 52-55
- (FR) Simone DUBREUILH, "Flashes sur les jeunes réalisateurs français: Chris Marker", Les lettres françaises, n° 664 (28/03/1957), p. 6
- (FR) Alain RESNAIS, "À propos de la censure (propos recueillis par Simone Dubreuilh), Les lettres françaises, n° 711 (27/02/1958), p. 9
- (FR) Alain RESNAIS, "[interview]", Clarté, n° 33 (02/1961), p. n/a
- (FR) Marcel MARTIN, "Les statues meurent aussi", Les lettres françaises, n° 893 (21/09/1961), p. 6
- (FR) Alain RESNAIS, "[Interview]", Premier plan, n° 18 (10/1961), p. n/a
- (FR) anonyme, "Les statues meurent aussi", Cinéma 61, n° 61 (11/1961), p. 124
- (FR) Jean DELMAS, "Le vrai visage de la censure", Jeune cinéma, n° 16 (06/1966), p. 1-15
- (FR) Luc SAND, "Les censures meurent aussi", Jeune cinéma, n° 34 (11/1968), p. 1-3
- (FR) André CORNAND, "Cinéma d'inquiétude", Image et son, n° 232 (11/1969), p. 114
- (FR) André CORNAND, "Les statues meurent aussi", Image et son, n° 233 (12/1969), p. 193-201
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- (GE) anonyme, "Les statues meurent aussi", Kino, n° 5-6 (1973), p. 89
- (FR) François NINEY, "Le regard retourné: des Statues meurent aussi au Tombeau d'Alexandre", Images documentaires, n° 15 (1993), p. 29-33 et 36-37
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- (IT) Birgit KÄMPER / Thomas TODE, "Intervista con Alain Resnais", in Bernard EISENSCHITZ (dir.), Chris Marker, Festival de Pesaro, Rome: Dino Audino Editore, 1996, p. 45; traduction: (DE) Birgit Kämper / Thomas Tode (dir.), Chris Marker. Filmessayist, Munich: Institut Français / CICIM, 1997, p. 205
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- (FR) Jean-Pierre REHM, "Une occasion de penser Resnais", Cahiers du cinéma, n° 589 (04/2004), p. 61
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Les astronautes / Walerian Borowczyk
1959 - France - 14' - 16 mm- Couleur
Suivant le travail d'animation élaboré en Pologne, dont Dom (1957) co-réalisé avec Jan Lenica, Walerian Borowczyk propose ici un court métrage d'animation expérimental, mélange de papier découpés et de photos, à travers lequel il raconte l'histoire d'un inventeur bricoleur qui conçoit un vaisseau spatial dans une maison de banlieue tranquille. Aussitôt celui-ci achevé, l'inventeur décolle, accompagné de sa chouette Anabase, et part à l'aventure, faisant le tour de la Terre et lâchant des messages pour informer les autres terriens.
Bien que généralement inséré dans la filmographie de Chris Marker, Les astronautes ne devrait pas s'y trouver. Des mots mêmes de Marker, ce film est à 100% de Walerian Borowczyk1. En réalité, la petite histoire veut que Borowczyk, vivant en France depuis qu'il quitta la Pologne en 1958, n'ait pas de carte de travail lorsqu'il réalise Les astronautes. Il demande alors à Chris Marker, autre "poulain" d'Argos Films, dont la renommée ne cesse de croître, de bien vouloir co-signer le film, espérant ainsi éviter d'éventuelles difficultés. Marker accepte.
Si on ignore exactement comment les deux hommes se sont rencontrés, on peut cependant signaler que l'actrice polonaise Ligia Branice, femme et hégérie de Borowczyk, apparaîtra dans La jetée (1962) de Marker.
Aujourd'hui, la Bibliothèque du film de la Cinémathèque française conserve le fonds "Walerian Borowczyk", soit 162 dossiers, dans 25 boîtes, s'étalant de 1953 à 1994. Quatre de ces boîtes comprennent des documents afférents aux Astronautes2. Par ailleurs, plusieurs films de Borowczyk sont visionnables sur Ubuweb.
Générique (début, dans l'ordre d'apparition)
Argos Films et Les Films Armorial
présentent
Les astronautes
Visa de contrôle cinématographique n° 22.763
Avec Michel Boschet, Ligia Borowczyk, Anatole Dauman, Philippe Lifchitz, avec la chouette Anabase
musique et sons: Andrzej Markowski
montage: Jasmine Chasney
effets sonores: Studios D.M.S. - Tadié-Cinéma
mixages: Studios Marignan - René Renault
trucages: Equipe Arcady
opérateur: Daniel Harispe
laboratoire G.T.C.
couleur par Eastmancolor
régisseur d'extérieurs: Jean Tappou
Les astronautes
réalisation: Walerian Borowczyk
collaboration: Chris Marker
Prix du film de recherche au Festival de Venise - 1960
Prix de la Fédération internationale de la presse à Oberhausen - 1960
Médaille d'or au Festival de Bergame - 1960
Distribution: Tamasa
Commentaire / scénario: non édité (film muet)
Notes
1 Birgit Kämper et Thomas Tode (Hg.), Chris Marker - Filmessayist, Munich: CICIM edi., 1997, p. 376. Ils ne précisent cependant pas leurs sources.
2 Cotées: BOROWCZYK104-B18 (projet d'exposition au MoMA) ; BOROWCZYK113-B19 (rétrospective au cinéma Le Ranelagh) ; BOROWCZYK112-B18 (articles de presse) ; BOROWCZYK130-B19 (Grand prix de Bergame)
Bibliographie
- (FR) M. MARTIN, "Les astronautes", Les lettres françaises, n° n/a (15/11/1961), p. n/a
- (FR) François CHEVASSU, "Le court métrage français: Les astronautes", Image et son: saison cinématographique 61, n° h.s. (12/1961), p. 364
- (FR) Marcel MARTIN / Pierre PHILIPPE, "La nouvelle vague du court métrage", Cinéma 63, n° 74 (03/1963), p. 63-65
- (GB) Pam JAHN, "Les astronautes", Electric sheep magazine: a deviant view of cinema, 28/06/2014, en ligne (web)
- (GB) David SURMAN, "Sleepless satellites: Walerian Borowczyk's Les astronautes (1959)", sensesofcinema.com, n° 79 (06/2016), en ligne (web)
- (PL) Kuba MIKURDA, "Walerian Borowczyk: mistrz ucieczek (przyczynek do biografii) / Walerian Borowczyk: escape artist (an attempt at a biography)", Autorzy kina europejskiego VII, n° 7? (2018), p. 85-104 (web)
Le joli mai / Pierre Lhomme
1962 - France - 165' - 16 mm gonflé en 35 mm et 35 mm - N&B
"La scène se passe au mois de mai 1962 désigné par certains, à l'époque, comme le premier printemps de la paix", tels sont les premiers mots du Joli mai, film en deux parties composées d'interviews de Parisien(ne)s de toutes classes sociales confondues, sur leurs préoccupations du moment. Guy Gauthier, dans le numéro spécial d'Image et son accordé à Chris Marker précise que :
"L'ambition - louable - des auteurs, la complexité et l'immensité du terrain à explorer, le refus de tout choix préalable, devaient conduire à bien des modifications en cours de tournage. Certaines questions de l'interrogatoire de base n'ont trouvé qu'un faible écho (en dépit de leur importance), des personnages plus riches ont proposé à leur insu d'autres thèmes, d'autres directions de recherche. Ainsi s'accumulait une matière extrêmement dense qui constitue sans doute une documentation exceptionnelle sur notre époque, mais qui représente 55 heures de projection. Il fallait donc choisir dans cette multitude de visages. Un premier montage donnait 20 heures de projection, un second 7 heures. Peu à peu, mais avec quels regrets, les auteurs élaguaient, triaient, avec le double souci de conserver l'essentiel, et de servir la vérité, d'être honnête par conséquent. Finalement, la version définitive comptera 3 heures et 2 parties, mais elle n'en constituera pas moins un seul film.
Tourné en noir et blanc, tantôt en 16 mm avec prise de son synchrone, tantôt en 35 mm, le film laisse la plupart du temps la parole aux personnages. Le commentaire de Chris Marker qui n'apparaît qu'au début et à la fin, est beaucoup moins présent que dans ses autres films. La chanson Joli mai relie les deux parties du film.
La première partie, "La prière de la tour Eiffel"1, étudie surtout les réactions individuelles. Elle est construite autour de quelques personnages-clés: un tailleur de la rue Mouffetard aux formules en forme de maximes (40 millions d'égoïstes, ça fait une politique), deux architectes qui construisent en rêve un Paris futuriste, une femme d'Aubervilliers, habitant jusqu'alors une seule pièce avec ses huit gentils enfants, et que l'équipe du film accompagne dans son nouveau logement, deux grouillots dans le monde de la Bourse, Pierrot le Taxi, réparateur de pneus et peintre amateur, deux inventeurs genre concours Lépine, deux amoureux rencontrés par hasard sous le Pont de Neuilly, etc.
Une seule règle : pas de monstres, pas d'êtres d'exception, mais des gens comme ceux que nous rencontrons chaque jour dans la rue, dans le métro, au café.
Chaque séance aura sa date et son sous-titre.
La deuxième partie, "Le retour de Fantomas"2, laisse la parole à certains individus, non pas typiques, mais susceptibles de nous aider à accéder au niveau d'une compréhension d'ensemble de Paris 1962. Trois jeunes femmes très futiles, un ancien prêtre ouvrier, un Noir étudiant en sociologie et, pour vivre, magasinier à la Nationale, un professeur ancien officier en Algérie, un champion du monde de twist, quelques membres de l'assistance d'un procès célèbre, un jeune Algérien qui raconte ses expériences, quelques élèves de la préparation militaire de Janson-de-Sailly, un général à une cérémonie commémorative témoignent chacun à leur manière des angoisses et des espoirs de Paris, en ce joli mai 1962."3
Dans une interview pour le 50e anniversaire de la Semaine de la critique à Cannes, en 2011, Pierre Lhomme explique que la décision de réaliser le film a été prise par Chris Marker et la productrice Catherine Winter. Il précise également les raisons à l'origine du film:
"C'était vraiment ce besoin d'essayer - c'était une tentative -, d'essayer de savoir ce qu'il se passait dans la tête des gens en mai 1962. Et cela peut paraître bizarre, mais ce n'était pas évident du tout. Et moi je me souviens que quand on a commencé à tourner et à écouter vraiment ce que les gens nous disaient, on était quand même très très étonnés, très étonnés. Moi, j'avais l'impression de n'avoir jamais écouté mes concitoyens, et je sais que cela a été un grand choc pour moi et pour Chris : la découverte de ce que les gens avaient à dire. C'est-à-dire qu'une grande partie des rencontres étaient fortuites, enfin étaient improvisées, alors que d'autres avaient été prévues de longue date par Chris qui avait établi une relation avec pas beaucoup, 5 ou 6 personnes. Et de cette relation, il pouvait tirer des interviews, il pouvait créer un dialogue plus exactement. Mais pour le reste, c'était des choses comme ça, qui étaient saisies sur le moment."4
Cet étonnement est perceptible à la vision du film, car les personnes à qui est donnée la parole ne sont, pour l'essentiel, pas ou peu préparées à répondre aux questions de Marker et de ses acolytes, à exprimer clairement leurs idées, leurs pensées. Et c'est justement l'une des principales critiques qui sera faite aux réalisateurs. L'une des plus virulentes vient de Michel Delahaye, des Cahiers du cinéma, qui, comparant Le joli mai à Chronique d'un été de Jean Rouch, sorti en 1961, fait une remarque des plus pertinentes :
"Il se trouve, écrit-il, que c'est un peu un problème d'ethnologie qui se posait à Marker. Étudier les primitifs, le peuple, c'est établir le contact avec des gens différents. Le contact sera fécond, brutal ou destructeur, suivant que l'on accepte, nie ou condamne les différences.
Un contact brutal entre visiteur et visité ne laissera ni l'un ni l'autre intact. Il y aura traumatisme des deux côtés. Il y aura - vu la supériorité réelle ou de circonstance du visiteur - écrasement du visité, c'est-à-dire du primitif. Il y aura colonisation."5
Pour bien comprendre cela, il faut considérer l'un des éléments les plus critiquables du film, à savoir la capacité des interviewés à s'exprimer à chaud. Jean-André Fieschi, collègue de Michel Delahaye, n'est pas plus tendre avec Marker. "Contrairement à la majorité des critiques, écrit-il, ce film ne me semble fondé ni sur la fraternité, ni sur la sympathie, l'épreuve du langage en témoigne : il n'y a pas, chez le Rouch de Chronique d'un été (1960) par exemple, des distinctions aussi évidentes, sous l'angle de la communication, entre intellectuels et non-intellectuels."6
Le fait que Marker et Lhomme aient entrepris un travail d'ethnologue (ou du moins qui s'y apparente) sans en avoir les aptitudes ni les connaissances nécessaires7 (car ce n'était pas le propos originel), est cause des critiques sur le clivage entre les intellectuels qui savent s'exprimer, exposer leurs idées, et les autres, ceux du peuple, qui ont été interviewés d'une certaine manière à leur insu et avec un résultat final qui ne les montre pas toujours sous l'angle le plus favorable, laissant l'impression (sans aucun doute erronée au vue de l'oeuvre de Marker) d'une trahison susceptible d'entraîner la moquerie des gens du peuple8.
Et pour étayer son propos, Delahaye avait pris soin de commencer sa longue diatribe par un extrait d'un article favorable au Joli mai de Robert Benayoun, paru dans France Observateur.
"Marker est un féroce dénicheur de bêtise et de lacheté, une version insinuante de la conscience, un débusqueur de petits mensonges béats... Car son tableau de chasse est affolant : ... les jeunes boursiers hilares et installés, le numéro rougissant du militaire et de sa fiancée qui proclament leur indifférence totale à ce qui se passe sous leurs yeux [tout comme Kumiko, au passage (n.d.l.r)]... À chacun de ces imbéciles, les uns odieux, les autres presque touchants dans leur inexistence signifiante, Marker pose la colle qui convient, refile la réplique foudroyante que son timbre neutre camoufle de justesse..."9
Et effectivement, à la vision du Joli mai, on est surpris de la sincérité des réponses, empreintes souvent d'une forme de naïveté déconcertante, amplifiée par le montage et le commentaire. Aussi, alors que Georges Perec commence l'écriture des Choses, il visionne Le joli mai en novembre 1963 et écrit dans son carnet le commentaire suivant: "Intéressant mais souvent raté - difficile pour un intellectuel de filmer des "pauvres" sans se moquer d'eux ou de filmer des "intellectuels" sans les admirer d'une façon con. Pose mal et ne résout pas les problèmes de l'urbanisme de la modernité. Goût pour certaines facilités émotions faciles pas beaucoup de réflexion."12
Quoiqu'il en soit, il faut noter non seulement que Le joli mai est un tournant majeur dans l'oeuvre filmographique de Chris Marker (et aussi du cinéma documentaire) de par son sujet et son approche (ce que l'on a appelé le "cinéma-vérité"10), mais qu'en plus les deux réalisateurs sont conscients de ces aspects du film, sans pour autant les rejeter.
Dès le départ, dans les documents préparatoires, ils ont expliqué leurs démarche et attentes :
"Paris est un objet de conte aussi éculé et fabuleux que le soulier de Cendrillon. N'importe qui peut se targuer de l'avoir tenu, et personne de l'avoir chaussé.
Il vaut mieux attendre Paris patiemment, et l'observer, sans vouloir le surprendre.
Ce que nous aurons cherché à faire apparaître, ce sont, à côté de ceux que ballotent à leur gré le hasard et la solitude, des hommes et des femmes autant que possible intégrés à leur milieu social, et conscients de ce qu'ils voudraient faire de leur vie.
Ce film, Le joli mai, voudrait s'offrir comme un vivier aux pêcheurs de passé de l'avenir. À eux de trier ce qui marquera véritablement et ce qui n'aura été que l'écume."11
Les réponses des Parisien(ne)s ont étonné Lhomme et Marker, mais tout autant les Parisien(ne)s, les Français, les critiques de cinéma et tant d'autres contemporains.
Aujourd'hui, Le joli mai apparaît comme un étonnant et touchant témoignage d'une époque révolue, dont certaines attentes sont certes devenues obsolètes ou ont simplement disparu de la vie des hommes du XXIe siècle, mais dont d'autres sont toujours d'actualité. La fraîcheur, la spontanéité, la candeur aussi de ces Parisien(ne)s d'un autre temps est surprenante. Et le film de Marker et Lhomme, répondant entièrement à leur démarche première, est loin d'être un échec.
À noter que 2 courts métrages ont été réalisés à partir des kilomètres de rushes tournés pour Le joli mai:
- Jouer à Paris (1962) de Catherine Varlin, la "librettiste" du Joli mai, et dont Chris Marker fera le montage.
- D'un lointain regard (1966) de Jean Ravel, le monteur de La jetée.
Dossier de presse - "Le Joli mai" (2013)
Générique (début, dans l'ordre d'apparition)
"To the Happy Many"
Sofracima présente "Le joli mai"
Un film de Chris Marker et de Pierre Lhomme, assistés de Yves Montand (récitant), Gisèle Rebillion (exécutive productrice), Catherine Varlin (librettiste), Michel Legrand (musicien), Henry Belly, Henri Crespi, Nathalie Michel (enquêteurs), Antoine Bonfanti, René Levert (hommes du son), Etienne Becker, Denys Clerval, Pierre Villemain (hommes de l'image), Pierre Grunstein, André Heinrich, Jacques Tribault, Jacques Branchu (hommes de main), Eva Zora, Annie Meunier, Madeleine Lecompere (femmes à ciseaux), Eclair (laboratoire), SIMO (auditorium), Coutant (caméra)
Visa n° 26489
Prix de la critique internationale, Cannes 1963
Dauphin d'or, Leipzig 1963
Prix de la meilleure 1ère oeuvre, Venise 1963 (initialement nominé pour le Lion d'or)
Distribution : La Sofra (anciennement Sofracima)
Commentaire / scénario : voir la page dédiée de ce site ICI.
Notes
1 La prière sur la Tour Eiffel n'est autre que le titre d'un texte de Jean Giraudoux publié sous forme de plaquette, à Paris, chez Émile Paul frères, en mai 1923. L'année suivante, ces derniers publieront Juliette au pays des hommes également de Giraudoux, qui aura intégré La prière... au chapitre VI (p. 169-192). Le texte d'introduction du Joli mai, sur Paris et les Parisien(ne)s, dit par Chris Marker, en voix off, au tout début du film, est tiré de ce texte, dont il a cependant coupé quelques phrases.
2 Il s'agit du tome 6 des aventures de Fantômas (comme le précise la voix off), intitulé Le policier apache de Pierre Souvestre et Marcel Alain, paru en 1911, et qui sera adapté au cinéma par Louis Feuillade, en 1914, sous le titre Fantômas contre Fantômas, puis en 1949, par Robert Vernay. Le passage "allonger sur Paris son ombre immense" fait, lui, directement référence à la "Complainte de Fantômas" de Robert Desnos, paru dans le recueil Fortunes chez Gallimard, en 1953.
3 Image et son, n° 161-162 (1963), p. 49
4 Pierre Lhomme poursuit en précisant que: "Aujourd'hui, Chris voudrait modifier Le joli mai, refaire, c'est un grand mot, parce que cela voudrait dire qu'il faudrait remonter tout le film. Je ne crois pas que c'est cela qu'il souhaite. Il a le sentiment que le film tel qu'il existe aujourd'hui risque d'être en partie incompris par les nouvelles générations. Le service du patrimoine, le CNC, vient de restaurer le film. La restauration a consisté à reconstituer le négatif d'origine et à tirer une copie 35 mm qui représentait en fait le premier montage qui avait été fait. Quand on a présenté le film à la Cinémathèque, Chris a demandé une coupe dans la deuxième partie et manifestement, cela correspond à son soucis : c'est que l'importance qu'avait pour nous à l'époque la résolution du colonialisme et la fin de la guerre d'Algérie paraît complètement dépassé par rapport aux soucis actuels de la jeunesse, et c'est cela qui l'embête beaucoup."
5 Cahiers du cinéma, n° 146 (1963), p. 7
6 Cahiers du cinéma, n° 145 (1963), p. 24
7 Et c'est la une grande différence avec Jean Rouch, qui est ethnologue, d'où la violence des critiques dans leurs comparaisons entre les deux films.
8 Que l'on prenne le premier interviewé, son "pognon", sa femme et son patron.
9 Cahiers du cinéma, n° 146 (1963), p. 5
10 Marker se refuse d'utiliser l'expression "cinéma-vérité" qu'il trouve impropre. Voir la dernière interview accordée aux Inrocks.
11 Image et son, n° 274 (1973), p. 87. Nous soulignons.
12 Paulette Perec, "Les choses en leur temps", Roman 20-50, n° 51 (01/2011), p. 39-58 (web): Georges Perce rédige plusieurs versions des Choses entre août 1963 et mars 1965.
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À bientôt j'espère... / Mario Marret
1967 - France / Belgique - 45' - 16 mm - N&B
À bientôt j'espère marque un tournant dans l'oeuvre de Chris Marker. Alors qu'en cette même année 1967, avec la création de SLON, en Belgique, il met en place un "cinéma collectif" à travers le tournage de Loin du Vietnam, il s'intéresse en même temps à la société française et plus particulièrement au milieu ouvrier, au sein duquel il va développer un nouveau cinéma: le "cinéma militant".
C'est grâce à l'ISKRA (nouveau nom de SLON depuis 1974) et aux Éditions Montparnasse (et depuis peu, à la nouvelle édition des Mutins de Pangée (2018)) que l'on connaît un peu mieux la génèse de ce premier film militant, co-réaliser avec Mario Marret: À bientôt j'espère. Le livret qui accompagne le coffret dvd Les groupes Medvedkine offre de nombreux documents, dont un texte de Chris Marker, daté du 22 juillet 2005, intitulé "Pour Mario", en hommage à son ami disparu. Marker décrit non seulement l'amitié particulière qui le liait à Marret, mais aussi comment ils en sont venus à tourner ce film.
"Ce qui suit pourrait s'intituler "comment un bol de café peut changer la destinée de beaucoup de gens."
J'étais en rapport épistolaire depuis un certain temps avec le CCPPO, centre de culture populaire d'un quartier de Besançon, qu'un formidable couple d'enseignants, René et Micheline Berchoud, portait à bout de bras (Micheline écrirait plus tard un récit1 exceptionnellement juste et vivant de toute l'expérience à venir). Un matin de mars 1967, je reçus une lette d'eux: les ouvriers de Rhodiaceta, l'usine dépendant de Rhône-Poulenc qui était le pôle industriel et social du quartier, venaient de se mettre en grève, avec occupation (une première depuis 1936). Le CCPPO s'occupait évidemment de l'animation culturelle. Est-ce que je pourrais envoyer des films 16 mm, et pourquoi pas les apporter moi-même et voir ce qui se passait? Bon, la situation était la suivante - au plan macrocosme, j'étais en plein montage de Loin du Vietnam, film collectif, entreprise compliquée et responsabilité assez écrasante - au plan du microcosme, je n'avais pas encore pris mon café. Au carrefour de ces deux plans, ma première réaction fut "dommage que je sois embarqué dans ce montage, tout ça m'a l'air bien intéressant" et je ne pensai plus qu'au moyen de leur faire parvenir quelques films glanés chez des producteurs amis. Sur quoi je bus le fameux café, et mes pensées changèrent du tout au tout: Besançon, ce n'était pas le Gobi, quelques heures de voiture au plus, Antoine Bonfanti, mon fidèle ingénieur du son et ami avait une DS assez spacieuse pour contenir un certain nombre de copies de films, la tournée des producteurs pouvait tenir dans la matinée, pour quoi ne pas tenter le coup? Nous tentâmes, et ce fut le premier pas vers À bientôt j'espère, les groupes Medvedkine, tout ce qui accompagnerait, orienterait, singulariserait l'aventure SLON, plus tard ISKRA.
Mais il y eut d'abord le compte-rendu publié dans le Nouvel observateur du 22 mars 672. Je me contentais d'y rapporter l'essentiel des propos enregistrés, accompagné des photos de Michèle Bouder, qui avait été du voyage, et précédé d'une courte introduction. [...]
Mario lut et relut ces témoignages. De toute évidence quelque chose était en train de bouillonner là-dedans, qui se rattachait à ses racines les plus profondes. Je n'eus même pas à lui proposer d'être du voyage suivant, cela allait de soi, et à partir de là, il fut de tous les voyages, de tous les tournages. Il marqua de sa personnalité hors du commun les rapports singuliers qui s'établissaient entre cinéastes, militants ouvriers et prolos de base. Il y mit son énergie, son expérience et, ingrédient non négligeable, sa formidable drôlerie. C'est à lui qu'on doit, à travers A bientôt j'espère, cette ambiance de parfaite égalité entre filmeurs et filmés que je n'aurais sûrement pas été capable d'établir à moi seul, et qui nous valut l'honneur d'un commentaire personnel du général de Gaulle (lequel apparemment passait son temps à regarder la télévision) "Qu'est-ce que c'est que c'est journalistes qui tutoient les ouvriers?"3"
Et effectivement, c'est là un des points inattendu de la "vie" du film, qui bien que parlant d'une grève, avec occupation de lieux, bien loin de ce que pouvait tolérer le pouvoir en place, fut, grâce à un heureux concours de circonstance ou au courage de quelques uns, diffusé par la télévision, sur la deuxième chaîne de l'ORTF, le 5 mars 1968, dans l'émission Caméra 3.
Le critique de cinéma, Guy Gauthier, fidèle admirateur du travail de Chris depuis les débuts, décrit succinctement, mais avec clarté, la situation d'alors.
"Cette publicité, pour un film militant qui avait toutes chances de rester confidentiel, semble due à une erreur de programmation. Diffusé le 5 mars 1968 dans la série Caméra 3, encadré par deux présentateurs qui ne savent pas trop que faire de ce brûlot, la projection fut suivie d'un débat visiblement destiné à en tempérer la portée. Assuré par deux experts (dont le jeune Jacques Delors), il rend un son inhabituel pour la très conformiste et très surveillée télévision française. Deux mois après éclataient les évènements que l'on sait. Le film n'y était pour rien, mais il annonçait sans le savoir l'orientation nouvelle des revendications ouvrières, telle qu'elle allait se manifester dans la parole de neuf millions de grévistes. [...]
Aujourd'hui, le film doit être replacé dans son contexte. La mode était au spontanéisme, à la méfiance vis-à-vis des organisations enfermées dans leur tradition et leur discours stéréotypé. Mai 68 justement se caractérisera, un an après la réalisation du film, par une prise de parole bouillonnante, en réaction contre les poncifs et les propos doctrinaires, mais de plus en plus éloignée des problèmes du quotidien et de l'organisation du travail, au risque même - deux ou trois ans plus tard c'était chose faite - de substituer à un discours stéréotypé un autre discours stéréotypé. Ce que Marker a saisi avec une rare intelligence, c'est ce moment privilégié où la rénovation est en cours, où des mots nouveaux apparaissent, où les mentalités évoluent, où l'aspiration au changement, par difficulté de se théoriser, s'en prend violemment à l'ordre ancien."4
Et effectivement, À bientôt j'espère... consiste en une suite d'entretiens avec des ouvriers. Pierre Lhomme, alors à la caméra, se souvient du tournage:
"A bientôt j'espère... était constitué d'entretiens avec des ouvriers de la Rhodiaceta et de plans d'ambiance autour de l'usine (on n'avait pas eu le droit de rentrer à l'intérieur). Nous habitions chez les animateurs du centre culturel. C'était formidable parce que pour la première fois on rencontrait des syndicalistes dont le souci principal n'était pas le salaire. C'est ce qui nous a le plus frappé: toutes les discussions tournaient autour des conditions de vie et d'argent, de la relation humaine, il était peu question de salaire. Ça préfigurait les grandes grèves de Nantes et Mai 68. Le travail avec Chris était très proche de l'esprit du Joli mai et nous retrouvions nos bonnes habitudes, comme pour La solitude du chanteur de fond d'ailleurs, qu'on a tourné sept ans plus tard."4
Mais la véritable surprise fut la réception du film par les ouvriers. En effet, une fois monté, celui-ci leur est projeté. Le coffret DVD propose, sous le titre La charnière (1968), un montage de l'enregistrement de la séance houleuse qui suivit la projection et là, c'est la giffle.
Un ouvrier s'exclame: "Je pense que les travailleurs de Rhodia ont vu ça et que si le réalisateur a voulu vraiment exprimer, alors vraiment c'est un incapable. Si vraiment il a voulu exprimer ce que ressentent les travailleurs de Rhodia et le besoin qu'ils ont, je pense que le réalisateur c'est un incapable. Je le dis crûment. Je le dis tel que je pense." Un autre reprend plus loin qu'à "aucun moment, dans le film, un travailleur n'a soulevé le problème de la discipline dont on n'est victime à l'intérieur de l'usine." Les femmes ne sont pas en reste. Une ouvrière soulève à raison la question. "Ca n'apparaît pas le travail des femmes, par exemple, là, dans votre film! C'est peut-être aussi une lacune." Et les critiques de se poursuivre. Un ouvrier touche juste. "Le film montre tout pessimiste, dit-il, parce que tous ceux qui ont été interviewés se plaignent dans le film, tu comprends?... Pas un qu'est content!... Alors c'est normal. On a l'impression que c'est des esclaves, qui n'ont aucune vie, qui ne rigolent jamais." Un autre de reprendre: "C'est inconcevable qu'on puisse réussir une grève sans un boulot d'équipe, sans quelque chose d'organisée, sans des structures. On a un téléphone arabe dans l'usine. Et là, ça paraît un peu seul, un peu... c'est du cinéma, quoi!" La discussion se poursuit et un ouvrier affine cette remarque. "Pourquoi les travailleurs ne se retrouvent pas dans le film? Tu parlais d'analyse. Moi, je crois que, tout simplement, je le dis franchement, Chris est romantique. Il a vu les travailleurs, l'organisation syndicale avec romantisme."
Marker reçoit les doléances et les critiques, et répond:
"Alors, c'est un peu par hasard, qu'en même temps, qu'a commencé cette entreprise, dont on savait d'avance ses limitations et ses éléments d'échec. On avait quand même continué une activité parallèle, qui était celle d'un groupe de jeunes militants à qui on mettait entre les mains des caméras, des magnétophones, avec cette hypothèse qui, moi, m'apparaît toujours évidente: c'est que, nous, on sera toujours au mieux des explorateurs bien intentionnés, plus ou moins sympathiques, mais de l'extérieur et que, de même que pour sa libération, la représentation et l'expression du cinéma de la classe ouvrière sera son oeuvre elle-même. Et que c'est quand les ouvriers auront entre les mains les appareils audiovisuels qu'ils nous montreront, à nous, les films sur la classe ouvrière, et sur ce que c'est qu'une grève, et sur ce que c'est que l'intérieur d'une usine. Mais je crois qu'on serait même dix mille fois plus malins, et moins romantiques, qu'on serait quand même limités par cette espèce de réalité cinématographique qu'on expérimente tout le temps, qu'on aille chez les pingouins [référence au travail de Mario Marret] ou chez les ouvriers, qu'évidemment on ne peut exprimer réellement que ce qu'on vit, et que le film que vous souhaitez, mes enfants, c'est vous qui le ferez."5
Ainsi est né le groupe Medvedkine de Besançon (et plus tard celui de Sochaux), dont le premier résultat sera Classe de lutte, un court métrage retraçant l'éveil d'une militante syndicaliste, présente dans À bientôt j'espère...: Suzanne Zedet.
Dans la trop confidentielle et excellente brochure du CCPPO, Les cahiers des amis de la Maison du peuple n°5: Micheline Berchoud, La véridique et fabuleuse histoire d'un étrange groupuscule: le C.C.P.P.O.) (2003/2004, p. 92-93 / que l'on peut acquérir à la Librairie Les Sandales d'Empédocle de Besançon), est éditée une lettre de Chris Marker, témoignage très suggestif de la "participation" des cinéastes et techniciens du cinéma à ce film "ouvrier", sorte de méthode de travail:
"Mercredi avril 67
Cher René, voilà les sons annoncés par Mario, repiqués à 9,5 simple piste. Ils sont à vous [Également quelques photos de Michèle, et les négatifs pour agrandissement] - Rectif. Te sera envoyé samedi!
Un premier état du montage, son et image, sera prêt j'espère dans le courant de la semaine prochaine (le problème est de concilier cela avec le travail du Vietnam, qui prend pas mal de temps). À partir de là se pose la question: comment bien aborder la prochaine étape? Je crois que ce matériel peut fournir une base pour les discussion de la séance de "retrouvailles" dont parle Paul. Mais avez-vous à Besançon le matériel pour une projection "double bande"? (le son est évidemment capital). Pouvons-nous envisager de louer un appareil et de venir avec, film et nous? et dans ce cas (le plus important à mes yeux): dans quelle mesure notre présence (c'est-à-dire 2 ou 3 personnes qui sont quand même relativement des "étrangers") peut-elle être ou non souhaitable lors de la séance des retrouvailles? Il peut-être important d'enregistrer (son en tout cas, peut-être image aussi?) ce qui se dira lors du premier bilan de la grève - mais on peut penser aussi que notre présence, ou simplement le fait d'être enregistré, gêne ou paralyse certaines prises de position et nuise à la sincérité totale de la confrontation? J'ai besoin d'une réponse sur tous ces points: nous ferons ce que vous nous demanderez, mais je ne veux pas tomber dans la bonne volonté brouillonne (ni dans l'excès de prudence d'ailleurs). Donc la parole est à Paul, à toi, à Yoyo. Vous nous dites.
Quant au montage lui-même, quelle est votre opinion? Une esquisse de film "fait", qui donne l'impression que c'est du sérieux, qu'on est des professionnels et qu'on entre dans une vraie entreprise de cinéma - ou quelque chose de plus inachevé, de plus ouvert, qui laisse une plus large part aux critiques, aux initiatives, aux suggestions? J'envisageais même une série de petites unités autonomes, chacune centrée sur un thème, et donnant immédiatement naissance (en arrêtant la projection) à un débat sur le thème traité. Là encore, donnez votre avis.
Je tâcherai de venir moi-même si Mario n'est pas rentré, mais de toute façon, je souhaite que ce soit Paul qui prenne la direction des choses et qui dispose de nous comme d'espèce de machines enregistreuses dont les ouvriers de la Rhodia peuvent disposer pour faire leur film. Les autres problèmes se régleront après. Je crois que si nous ouvrons là une porte vers une possibilité d'inscrire dans le cinéma un tableau de la condition ouvrière en 1967 par ceux qui la vivent, nous sommes dans le droit fil de ce qui doit se faire en ce moment, pour le cinéma comme pour le reste.
Fraternellement à tous, Chris (signature)."
Par ailleurs, on lira avec intérêt l'entretien de Bruno Muel, accordé à Julie Borvon et Marie Loustalot, pour la FEMIS, le 31 mars 2010, et publié à l'occasion de la 39e édition du Cinéma du réel. Festival international de films documentaires, tenue du 24 mars au 02 avril 2017, à Paris.
Enfin, en décembre 2012, le CCPPO publia un DVD "sur la vie de tous les jours dans les années 60 à Besançon", soit "plusieurs montages audio-visuels composés à partir de ses archives photographiques", poursuivant quelques décénnies plus tard le projet du groupe Medvedkine initié par Chris Marker et ses acolythes, mais dans une nouvelle perspective, qui ne vise plus la "lutte", mais le "souvenir"!
Générique (début, dans l'ordre d'apparition)
[début]
visa de contrôle cinématographique n° 35.714
SLON
[fin]
[réalisation:] Chris Marker, Mario Marret
[image:] Pierre Lhomme
[son:] Michel Desrois
[montage:] Carlos de los Llanos
[images et son de la grève de 1967:] Bruno Muel (image), Paul Bourron, Antoine Bonfanti (son), Harald Maury
photo: Michèle Bouder
Jacqueline Meppiel, Gilbert Duhalde, René Vautier, Dominique Berchoud
et Valérie Mayoux qui a eu l'idée du titre:
"à bientôt j'espère..."
Distribution: ISKRA
Commentaire / scénario: non édité
"À bientot j'espère..." CH2_2013.pdf
Notes
1 Le récit, La véridique et fabuleuse histoire d'un étrange groupuscule: le C.C.P.P.O. (Besançon: Les Amis de la maison du peuple, 2003), que Micheline Berchoud a écrit, retrace les années d'aventure d'un groupe de militants d'un quartier de Besançon de 1956 à 1973, qui font émerger une expression artistique forte.
2 Chris Marker, "Les révoltés de la Rhodia", Le nouvel observateur, n° 123 (22/03/1967), p. 22-26
3 Chris Marker, "Pour Mario", livret du coffret DVD Les groupes Medvedkine, Paris: ISRKA - Editions Montparnasse, [2006], p. 14-15 (web)
4 Guy Gauthier, Chris Marker, écrivain multimédia, ou voyage à travers les médias, Paris: L'Harmattan, 2001, p. 126-127
4 Voir le livret, p. 20-21. À noter qu'un autre débat tout aussi houleux, mais cette fois-ci avec un public moins ouvrier et plus cinéphiles a eu lieu en présence de Chris Marker, Costa Gavras et quelques autres, à la suite de la projection d'À bientôt j'espère..., dont une partie a été publiée dans "L'aurore du cinéma ouvrier", Le nouveau cinémonde, n° 1840 (16/06/1970), p. 8-10
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La sixième face du Pentagone / François Reichenbach
1968 - France / Belgique - 28' - 35 mm - Couleur
Ce film collectif débute par le proverbe Zen: "Si les cinq faces du Pentagone te paraissent imprenables, attaque par la sixième", et s'achève par l'affirmation d'un jeune homme: "J'ai changé!" Entre les deux, Marker, Reichenbach and Co, montrent, pas à pas, la marche sur le Pentagone (Washington), en opposition à la guerre du Vietnam, le 21 octobre 1967. Si dès le début, la marche est bon enfant, opposant "pour" et "contre", "pro" et "anti", arrivée devant le bâtiment des forces militaires américaines, tout s'emballe, à tel point que les forces de sécurité sont prises de cours et littéralement débordées. Les opposants sont cependant stoppés et refoulés à l'entrée du building, mais peu importe, être arrivé là fait de la manifestation un succès.
En fait, plusieurs Français, réalisateurs, photographes, écrivains, journalistes, techniciens du cinéma ou de la télévision se sont retrouvés ensemble à cette manifestation et ont saisi l'évènement à travers le médium qui est le leur. Marker et Reichenbach profite de tout ce matériel pour en faire un film pour la télévision française. Comme le stipule les documents des archives des Films du Jeudi, La sixième face du Pentagone a été réalisé en collaboration avec l'O.R.T.F. et montré pour la première fois, intégralement, dans l'émission Caméra III, produite par Philippe Labro et Henry de Turenne (qui dit le commentaire du film), le 1er novembre 19671. Le 8 mars 1968, face à une possible censure dans le cadre d'une diffusion cinéma, le producteur Pierre Braunberger adresse une lettre à M. Touzery, chef du Service juridique et technique de l'information, du Ministère de l'information, dans laquelle il précise encore que "cette émission a eu l'approbation des autorités de la télévision, donc de notre Ministre de tutelle."2
Par ailleurs, le film a été distribué aux USA, comme Newsreel Nr. 113, sous le titre October 21, 1967. Demonstration.3
Enfin, à noter que c'est durant cette marche que Marc Riboud prendra la célèbre photo de la "Fille à la fleur", alors que dans la même nuit, son fils Alexis naissait de l'autre côté de l'Atlantique.4
Générique (début, dans l'ordre d'apparition et complété par Pesaro 1986 et alii)
[France-Opera Film présente]
La sixieme face du Pentagone
Un film S.L.O.N. produit et réalisé par
[Chris] Marker [réalisation, images], [Antoine] Bonfanti [son], Carlos [de los Llanos, montage], [François] Reichenbach [réalisation, commentaire, images], [Tony] Daval [images], Harald [Maury, son], [Christian] Odasso, Tandé, [Marc] Riboud [photos], Catherine, [Laboratoire] Eclair, Alexis "is born" [Riboud, né le jour du tournage], Sis, Visa 34061, [Pierre] Braunberger [producteur], Hell no, Valérie, $noopy, [Henry de] Turenne [voix off, et Philippe] Labro [tous deux producteurs de Caméra III], Luntz, Véronique, Arnaud, Dany, Manifestants, US Marshalls, You, Me
1967 / Año Del Vietnam Heroico
Grand prix du Festival d'Oberhausen - 1968
Prix Fipresci du Festival d'Oberhausen - 1968
Distribution: Films du Jeudi (Films de la Pléiades)
Commentaire / scénario: dans Jeune cinéma, n° 35 (01/1969), p. 2-6
Notes
1 Dans sa lettre du 8 mars 1968, Pierre Braunberger écrit en fait "le premier mardi de novembre 1967", mais dans la brochure "Les lycéens au cinéma" produite en collaboration avec le CNC et le Ministère de la Culture, il est fait mention du 1er novembre, soit un mercredi (p. 10).
2 Nous remercions Mme Laurence Braunberger de nous avoir donné accès aux dits documents.
3 Thomas Tode, "Filmografia commentata", dans Chris Marker. Pesaro 1996 (a cura di Bernard Eisenschitz), Rome: Dino Audino Editore, 1996, p. 111
4 Cette information est tirée du livret du DVD du Fonds de l'air est rouge produit par Arte Vidéo.
Bibliographie
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- (FR) Andrée TOURNES, "La sixième face du Pentagone", Jeune cinéma, n° 27-28 (01/1968), p. 79
- (FR) Marcel MARTIN, "Oberhausen 1968", Cinéma 68, n° 127 (06/1968), p. 22-27
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- (GB) Larry LOEWINGER, "La sixième face du Pentagone", Film Quarterly, n° 22/2 (winter 1968-1969), p. 58-59
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- (DE) anonyme, "n/a", Filmclub (Kaiserslautern), n° n/a (1970), p. n/a
- (FR) John HESS, "Un courant issu de la nouvelle gauche [Militanter Film in den USA]", in Guy HENNEBELLE / Raphaël BASSAN (éd.), CinémAction. Cinéma d'Avant-garde: expérimental et militant, Paris: Papyrus Editions, 1980, p. 47-48
- (GB) Michael R. MOSHER, "Review: The sixth side of the Pentagon by Chris Marker and François Reichenbach; The embassy by Chris Marker", Leonardo, vol. 41, n° 5 (2008), p. 519-522 (web)
- (FR) Luc LAGIER, "La sixième face du Pentagone", Bref, n° 48 (02/2011), p. 63-64 (web)
Jour de tournage / Pierre Mignot [ou Dupouey]
1970 - France - 11' - 16 mm - N&B
"Ou comment le climat de L'aveu [de Costa-Gavras] existait autant dans le tournage que dans le film." Autrement dit, un film sans commentaire, "le travail de Costa Gavras et de Raoul Coutard, avec Yves Montand et Gabrielle Ferzetti."1
Il s'agit en fait d'une commande pour l'émission "Pour le cinéma" diffusée sur l'ORTF le 5 avril 1970.
Aujourd'hui, l'INA propose Jour de tournage en libre accès sur son site. Par ailleurs, il aurait été intégré aux bonus de l'édition DVD de L'aveu de 2004... malheureusement aujourd'hui introuvable! Mais on le retrouve dans les bonus du coffret DVD Costa Gavras - L'intégrale vol.1 (1965-1983) paru chez Arte Vidéo en 2016.
Générique (d'après le site de l'INA)
réalisation: Chris Marker et Pierre Mignot (ailleurs Pierre Dupouey)
producteur: Robert Chazal et Frédéric Rossif
émission: Pour le cinéma
production: ORTF
Distribution: voir avec KG productions
Commentaire / scénario: non édité
Note:
1 Description tiré de "SLON, un cinéma de lutte", Image et son, n° 249 (04/1971), p. 50
Bibliographie: n/a
La bataille des dix millions / Valérie Mayoux
1970 - Belgique/France/Cuba - 58' - 16 mm - N&B
La bataille des dix millions était destinée à la Radio télévision belge1 (RTB) qui l'a coproduit avec K.G. Productions, la société de Costa-Gavras, et SLON, coopérative de production et de diffusion cinématographique indépendante fondée par Chris Marker, ainsi que l'Instituto Cubano de Arte e Industria Cinematográficos de Cuba (ICAIC).
Le début du documentaire est relativement clair et donne en deux minutes un résumé du film (ce dont il va être question), sous forme de teaser-bande annonce intégré au générique, peut-être pour des raisons télévisuelles.
"Lorsque le 9 février 1970, Fidel Castro parle à la télévision pour informer les Cubains de l'état actuel de la zafra, la récolte de canne-à-sucre, il est soucieux. La récolte marche dans les provinces de l'ouest, mais à l'est les difficultés commencent. Or il s'agit d'atteindre un chiffre exceptionnel: 10'000'000 de tonnes, pas une livre de moins. Fidel a fixé cette norme comme un athlète fixe la barre du saut-en-hauteur au niveau du record du monde: pas de demi-succès, c'est le record ou l'échec. Pourquoi la canne-à-sucre? Parce qu'après des expériences malheureuses, les dirigeants cubains ont conclu que la seule ressource immédiatement exportable et indéfiniment renouvelable de Cuba était le sucre. Pourquoi 10 millions? Parce que c'est le chiffre à partir duquel l'économie cubaine peut décoller entre ses dettes à l'égard des pays socialistes et ses besoins techniques payables en devises fortes. Pourquoi cette année? Parce que l'accord mondial sur le sucre et l'accord particulier avec l'Union-Soviétique exige une planification et que le plan prévoyait 10 millions de tonnes en 1970. Les Cubains comptaient y arriver progressivement. Ils n'y seront pas arrivés. La récolte de 1969 a été de 4,5 millions, moins de la moitié. Alors, là où la progression raisonnable et l'efficience quotidienne ont échoué, on répond par le volontarisme: mobilisation de toutes les énergies, participation de tout le peuple. Et cela, ajoute Fidel, sans que les autres fronts de la production en souffrent. C'est ce qu'il appelle la Bataille simultanée."
Pour atteindre les 10 millions planifiés, les Cubains doivent donc produire à ce moment là 1 tonne tous les 17 jours. La bataille peut commencer!
Sur le plan formel, La bataille des 10 millions est un mélange d'images documentaires et d'images télévisées, d'images fixes et d'images en mouvement, qui d'après Albert Cervoni, de L'humanité, sont pour l'essentiel des images provenant du matériel du film Despegue a la 18.00 (1969) de Santiago Alvarez2.
Comme l'a très bien décrit Jacques Demeure, de Positif, "La bataille des dix millions est un film austère et rigoureux", ce que nous confirmons sans difficulté. Mais lorsqu'il poursuit avec "un très beau film qui mérite, et d'urgence, la plus large diffusion"3, l'appréciation devient plus discutable. En effet, ce film est très loin de la qualité des précédents, sur le plan formel s'entend. L'humour et l'esthétisation de l'image sont délaissées au profit de la revendication et de la "véracité" de l'image montrée. Le rythme également est moins précis. Les extraits des discours ont tendance à durer, à l'image de leur version intégrale il est vrai. Jacques Demeure le remarque et précise avec justesse que "didactisme et souci de clarté, refus du lyrisme, ce sont là les préoccupations majeures manifestées par Chris Marker tout au long du film." Les images sont certainement des images récupérées plus que tournées par le cinéaste, mais là où le film diffère le plus d'avec les précédents, là où l'austérité se fait le plus sentir, c'est à travers le commentaire épuré et sec (sans pour autant être pessimiste et sombre comme pour Description d'un combat). Là raison de cette nouvelle approche dans l'oeuvre de Marker tient au fait qu'après la période activiste et militante au sein de la coopérative de production SLON et les groupes Medvedkine, Chris Marker est retourné en Amérique latine pour préparé plusieurs volets de l'émission de télévision "On vous parle..." qui avait pour but d'offrir une autre information que celle qui était donnée à voir ou à lire aux Français(es). Il réalise coup sur coup On vous parle du Brésil: torture en 1969 et On vous parle du Brésil: Carlos Marighela en 1970. Or le premier de ces On vous parle... consiste en une longue interview des militants brésiliens libérés en échange de l'ambassadeur américain au Brésil, alors kidnappé, et qui ont trouvé refuge à Cuba après avoir transité par le Mexique. Le film n'est plus une arme4, mais devient un moyen de contre-information pour que les gens aient les moyens de se faire une idée plus proche de la réalité que de l'idéologie ou de la propagande officielle. La censure illégitime de Cuba Si par le Ministère de l'intérieur et plus encore les raisons données par le ministre Terrenoire ne sont certainement pas étrangères à cette nouvelle direction.
Par ailleurs, il faut noter que, si au début des années 1960 Cuba était à la mode avec sa révolution populaire et le "Che", les choses ont bien changé à la fin de la décennie. Fini le temps de la lutte armée pour renverser les impérialistes, il faut maintenant reconstruire le pays, et avec l'embargo américain promulgué en 1962 à la suite des nationalisations cubaines expropriant des compagnies américains, il ne reste guère que le soutien de Moscou pour que la révolution ne soit pas livrée à elle-même. La vie des Cubains en 1970 est devenue des plus difficiles. Aussi, dans son film, Marker montre outre les derniers jours de la zafra et les difficiles conditions de vie des ouvriers, la vie à Cuba qui se partage entre difficulté d'approvisionnement et blocus américain. Mais l'essentiel du film reste les extraits des allocutions de Fidel Castro, à la télévision ou en public, en particulier celle du 26 juillet 1970, tenue place de la République (par laquelle le film s'achève et durant laquelle Fidel reconnaît l'échec de la zafra tout en s'efforçant d'en analyser les causes profonde d'une manière, il est vrai, lucide et honnête: manque de cadres qualifiés, sous-estimations de la force révolutionnaire de la classe ouvrière). Le tout étant ponctué d'avis des Cubains, l'ensemble créé un dialogue entre le chef révolutionnaire et son peuple. Marker apprécie la franchise de Castro qui ne cache rien (ou presque) aux Cubains dans le but de mieux pouvoir insister sur l'effort encore à fournir pour que Cuba puisse relever la tête et concrétiser son rêve, malgré tous les mauvais tours des impérialistes et des contre-révolutionnaires. Le cinéaste tente de rester objectif, montrant tout en évitant de critiquer, soulignant les points faibles sans enjoliver la réalité ni magnifier les points positifs.
Cependant, Jacques Demeure relève encore un manque dans l'approche du cinéaste, à savoir que:
"dans sa précision même, l'exposé économique de Chris Marker souffre d'être limité à la période immédiate. Il omet de rappeler que la question agricole a été le plus grave écueil rencontré par la majorité des nations qui ont voulu procéder à une révolution socialiste, que le problème agricole cubain, dans sa spécificité, ne s'est pas posé en 1970, mais dès 1959, à la prise du pouvoir. Déjà "Che" Guevara devait faire face au dilemme que crée l'existence d'une monoculture, ou presque, celle de la canne à sucre: y mettre fin, car ce régime, qui était pour l'impérialisme le procédé le plus rentable d'exploitation de ce pays sous-développé comme de bien d'autres, reste aussi pour lui le meilleur frein du décollage économique et le moyen de pression politique le plus efficace puisqu'il ne laisse pas d'alternative économique: ou la maintenir un temps, car elle est la seule source immédiatement possible de devises et de biens d'équipement et de consommation. Cela fait maintenant près de douze ans que, accordant la priorité tantôt à la polyculture et à l'industrialisation, tantôt à la production sucrière à outrance, les dirigeants cubains recherchent anxieusement une solution."5
Quoiqu'il en soit, contrairement à Cuba Si! qui reste un film de tout premier plan, tant sur le fond que sur la forme, La bataille des 10 millions est aujourd'hui avant tout un témoignage sur l'histoire de Cuba aux lendemains de la Révolution, manoeuvrant contre vents et marées en pleine Guerre Froide. Les chants se sont tus, remplacés par le rythme des cadences de production si semblable à celui des industries impérialistes.
Bien que ce film soit "vendu" comme co-réalisation dans le catalogue de l'ISKRA de 1971-1972, à l'image du Joli mai, l'essentiel du montage (qui fait le film) est de la main de Chris Marker, comme le décrit Valérie Mayoux en janvier 1997.
"Je suis retourné rendre visite à Chris qui s'était installé un atelier dans une sorte de loft, chez des amis, pour monter Le fond de l'air… C'était glacial en hiver, la table de montage était installée au milieu de la pièce, et il travaillait là seul: on aurait dit un moine. Il me montrait ce qu'il avait fait. Pour lui, le montage est vraiment la recherche de la nécessité de ce que disent deux plans quand ils se rencontrent - et qui peut passer, chose très importante chez lui -, par l'humour. C'est une alchimie qu'il est le seul à pouvoir trouver, avec son allié le hasard, qui n'existe pas d'ailleurs: il peut confier à d'autres, ses "petites mains", le montage d'une séquence, mais c'est à peine plus que le hasard… Sur La bataille des dix millions, il lui est arrivé de partir en me disant: "Valérie, je vous laisse monter la séquence", et j'étais absolument saisie d'épouvante, parce que naturellement il ne soufflait pas mot de ce qu'il entendait par là. D'ailleurs, il ne peut pas le dire d'avance, comme un alchimiste ne connaît pas d'avance la formule de son expérience. C'est pour cela que l'apparition de la vidéo, de l'informatique et autres synthétiseurs a été une telle jouissance pour lui, parce que ça lui permet vraiment de jouer avec une souplesse formidable."
"Témoignage de Valérie Mayoux: monteuse" (recueilli par Olivier Khon et Hubert Niogret), Positif, n° 433 (03/1997), p. 95
Notons que ce film a remporté le "Sesterce d'or" au 3e Festival international de cinéma de Nyon, en Suisse, dont le jury était alors présidé par M. Sukhat Abassov, d'Ouzbekistan, en octobre 1971 (web), et le Prix du meilleur document-reportage du 1er Festival international du film de court métrage de Grenoble, en 1972.
Générique (début, dans l'ordre d'apparition)
K.G. Production + S.L.O.N. + R.T.B. + I.C.A.I.C. =
La bataille des dix millions
Documents cubains assemblés par Chris Marker et Valérie Mayoux
images: Santiago Alvarez et "Noticiero" I.C.A.I.C.
voix: Georges Kiejman et Edouard Luntz
musique: Léo Brouver
"machete": Jacqueline Meppiel
mixage: Elvire Lerner
[son: Jean-François Chevallier]
Sesterce d'or au 3e Festival international de cinéma de Nyon (CH) - octobre 1971
Prix du meilleur document-reportage du premier Festival international du film de court métrage de Grenoble - 1972
Distribution: non distribué (anciennement ISKRA)
Commentaire / scénario: dans Jeune cinéma, n° 50 (1970), p. 39-48; traduction: (DE) 3 - Internationalen Forum des Jungen Films, 27.6 - 4.7.1971: Blatt 19 (extraits - web)
Notes
1 Jacques Demeure, "La canne, la mode et la révolution (La bataille des dix millions)", Positif, n° 122 (12/1970), p. 39
2 Information tirée de Pesaro film festival 1996: Chris Marker, Roma: Dino Audino Editore, 1996, p. 115. Le titre donné par Cervoni dans L'humanité du 3 février 1971 est Despegue a las diez y ocho. Nous avons choisi le titre officiel ici.
3 Demeure, 1970, p. 40
4 Le mots d'ordres des groupes Medvedkine était "filmez, des photos, des textes, des manifs, des moments de votre vie, car le film est une arme". Or, dans l'une de ses dernières interviews sur Second Life, Marker a rejeté cette idée du film comme une arme [6:35].
5 Demeure, 1970, p. 42
Bibliographie
- (FR) K.S. KAROL, "Cuba: la zafra manquée", Le nouvel observateur, n/a (27/07/1970), p. 18 (web)
- (FR) Guy HENEBELLE, "La bataille des dix millions. Film français de Chris Marker", Jeune Afrique, n° 516 (24/11/1970), p. n/a
- (FR) Jacques DEMEURE, "La bataille des dix millions", Positif, n° 122 (12/1970), p. 39-43
- (FR) G. DASCAL, "La bataille des dix millions", Vie ouvrière, n° n/a (01/1971), p. n/a
- (FR) Guillemette de VERICOURT, "Le réseau éléphant. La bataille des dix millions de Chris Marker", L'express, n° n/a (25/01/1971), p. n/a
- (FR) Marcel MARTIN(?), "La charge à la machette - La bataille des dix millions de Chris Marker", Les lettres françaises, n° n/a (27/01/1971), p. n/a
- (FR) Gaston HAUSTRATE, "La bataille des dix millions, un film de Chris Marker", Témoignage chrétien, n° n/a (28/01/1971), p. n/a
- (FR) Louis MARCORELLES, "La bataille des dix millions", Le monde, n° n/a (29/01/1971), p. n/a (web)
- (FR) R. CHAZAL, "La bataille des dix millions", France soir, n° n/a (30/01/1971), p. n/a
- (FR) Jacques DEMEURE, "La canne, la mode et la révolution", Positif, n° 122 (02/1971), p. n/a
- (FR) Guy GAUTHIER, "La bataille des dix millions", Image et son, n° 247 (02/1971), p. 103-106
- (FR) Jean-Louis BORY, "La bataille des dix millions", Le nouvel observateur, n° 325 (01/02/1971), p. n/a
- (FR) Albert CERVONI, "Réalité cubaine: La bataille des dix millions", L'humanité, n° n/a (03/02/1971), p. n/a
- (FR) Roger DOSSE, "À propos du film de Chris Marker La bataille des dix millions", Politique hebdo, n° n/a (04/02/1971), p. n/a
- (FR) Pierre MAZARS, "La bataille des dix millions", Le figaro, n/a (12/02/1971), p. n/a
- (FR) Christine de MONTVALON, "La bataille des dix millions", Télérama, n° 1'100 (14/02/1971), p. n/a
- (FR) Chr. ZIMMRE, "Avènement de l'Ignoble", Les temps moderne, n° n/a (03/1971), p. n/a
- (FR) Guy HENNEBELLE, "Cuba, La bataille des dix millions. Les guerilleros au pouvoir", Cinéma 71, n° 155 (04/1971), p. 126- 128
- (DE) Hans-Georg SOLDAT, n/a, Des Tagesspiegel, n/a (06/07/1971), p. n/a
- (DE) Pierre LACHAT, n/a, Der Landbote (Winterthur / CH), n° n/a (19/07/1971), p. n/a
- (FR) Hubert ARNAULT, "La bataille des dix millions", Image et son: saison cinématographique, n° 252-253 (09-10/1971), p. 24
- (DE) "Le jury du 3e Festival international...", Freiburger Nachrichten, s. n° (01/11/1971), p. 6 (web)
- (FR) P. MAZARS, "La bataille des dix millions", Le figaro, n° n/a (12/12/1971), p. n/a
- (FR) Michel PEREZ, "Chris Marker, lauréat du Festival de court-métrage de Grenoble", Combat, n° n/a (13/03/1972), p. n/a
- (NL) A. APON, "La bataille des dix millions", Skrien: tijdschrift voor film en televisie (Amsterdam), 29-30 (printemps 1972), p. 29-30
- (PT) Carolina Amaral de AGUIAR, "A revolução cubana nos documentários de Chris Marker", Estudos históricos (Rio de Janeiro), vol. 26, n° 51 (2013), p. 35-54 (web)
Vive la baleine / Mario Ruspoli
1972 - France - [30' réduits à ?] 18' - 35 mm - Couleur
Après Les hommes de la baleine (1956) de Mario Ruspoli, dont le commentaire est écrit par Chris Marker, les deux hommes décident de réaliser ensemble un nouveau film sur la pêche des cétacés: Vive la baleine.
Mais cette fois-ci, plus question de montrer la pêche traditionnelle au cachalot. Il s'agit purement et simplement de dénoncer un massacre inadmissible, celui des baleines bleues, le plus grand des animaux ayant jamais existé.
Comme le résume très bien le Festival du film de La Rochelle en 2004, "la baleine a d'abord représenté pour une partie de l'humanité un moyen essentiel de survie. Puis l'industrialisation est apparue, et avec elle le grand Capital. La chasse à la baleine est alors devenue un moyen de faire du profit. Le massacre pouvait commencer. Telle est l'histoire racontée dans ce documentaire sans effets ni fioritures."
Si aujourd'hui un moratoire interdit la chasse à la baleine, et malgré le fait que le Japon, l'Islande et la Norvège poursuivent leurs exactions sous prétextes scientifiques, les chiffres sont là.
En effet, la Commission baleinière internationale (CBI), fondée en 1948, avait mis en place un système de gestion de la chasse qui s'est avéré un échec total. "Ainsi, le système de conversion appelé "Unité de baleine bleue" (BWU, Blue Whale Unit) qui établit des équivalence entre les différentes espèces de baleines à fanons en fonction de la quantité moyenne d'huile pouvant en être tirée (1 baleine bleue = 2 rorquals communs = 2,5 baleines à bosse = 6 rorquals de Rudolphi), ainsi que la mise en place d'un quota global pour toutes les nations baleinières va provoquer le massacre des plus grandes baleines et amener leurs populations au bord de l'extinction. Ce n'est que dans les années 1960 que des quotas par pays seront adoptés, et en 1972 que l'Unité de baleine bleue sera abolie."1
Mario Ruspoli, qui s'implique toujours passionnément dans ses projets, ne s'arrêta pas là. En plus de son film, il édite un second livre sur le sujet intitulé Les hommes de la baleine (1972), en référence à son premier film homonyme (1956), qui était sorti peu après son livre À la recherche du cachalot (1955).
Dans ce second opus, Ruspoli fait le bilan de cette chasse, à la suite de la Conférence de Stockholm de juin 1972 qui émettait le voeu d'arrêter la chasse pendant dix ans pour permettre aux cétacés de se renouveler. Il nous apprend entre autre, qu'en 1964, point culminant du massacre, 357 canonnières et 23 usines flottantes ont tués 33'001 cétacés, dont 372 baleines bleues, et aussi que sur les 150'000 baleines bleues vivantes en 1930, il en restait moins de 1'000 en 1966, un massacre principalement dû aux Norvégiens.2
Par ailleurs, en 2007, sortait chez Icarus une version anglaise fortement remaniée, comme nous l'apprend Lynne Sachs, qui a travaillé activement à la traduction avec Chris Marker.
"Three years ago, Jon Miller, president of our mutual distributor Icarus Films, contacted me to see if I would be willing to assist Chris in the making of a new English version of his 1972 film Vive la Baleine, a passionate, collage-based essay film on the plight of the whales. Of course, I was honored and immediately said yes. For one whole year, Chris and I corresponded weekly as we re-wrote and updated the narration and I searched for a male and a female voice-over actor to read the two parts. He renamed the new 2007 version of his film Three cheers for the whale. It is distributed with other “bestiary” films he has made including The case of the grinning cat.
Quoiqu'il en soit, Vive la baleine est un documentaire exemplaire par son approche didactique, tout en étant un pamphlet cinglant contre le mercantilisme des industries de pêche.
Notons encore la rareté des documents concernant ce film, dont on ne sait rien de plus ou presque.
En 2016, Argos Films et les Éditions Montparnasse ont sorti un remarquable coffret des films de Mario Ruspoli, dont Vive la baleine et Les hommes de la baleine, avec un livret fourni et bien détaillé.
Enfin, notons que dans la "Nota filmografica" insérée en fin du volume (p. 193-196) de Scene della terza guerra mondiale 1967-1977, version italienne du Fonds de l'air est rouge, éditée en 1980, il est fait mention d'un film intitulé Vive la banlieue qui aurait été coréalisé par Marker et Mario Maret en 1972. Nul doute qu'il s'agit en réalité de Vive la baleine de Mario Ruspoli.
Générique (début, dans l'ordre d'apparition, complété par le site du Festival de La Rochelle)
Argos Films - 1972
Vive la baleine
baleines: Mario Ruspoli
vivats: Chris Marker
assistés par: Germaine et Mario Chiaselotti
[voix off:]
voix magistrale: [Louis] Casamayor
voix intérieure: Valérie Mayoux
voix musicale: Lalan [van Thienen]
générique: Timour Lam
[montage, son_et commentaire: Chris Marker]
[image: Michel Boschet]
[production: Argos Films]
Version anglaise (2007):
(sous titrage du générique début)
Three cheers for the whale
whales: Mario Ruspoli
cheers: Chris Marker
master voice: Leonard Lopate
interior voice: Emily Hoffman
(ajout générique de fin en anglais)
English version supervisor: Lynne Sachs
English sound mix: Bill Seery
original title drawings: Timour Lam
English titles: Kelly Spivey
English translation: Liza Oberman
A first run Icarus release
Distribution: Tamasa (pour Argos Films) / Icarus (USA)
Commentaire / scénario: non édité
Notes
1 Article Wikipédia. À noter que 1972 est aussi l'année de fondation de Greenpeace qui, outre le nucléaire, aura pour principal cheval de bataille la chasse à la baleine.
2 Mario Ruspoli, Les hommes de la baleine, Paris: Éditions Offidoc, 1972, p. 133-134
Bibliographie
Un maire au Kosovo / François Crémieux
2000 - France - 27'20 - Beta sp - Couleur
La Bibliothèque du Centre Pompidou résume Un maire au Kosovo en ces termes:
"Chris Marker recueille en 1999 le témoignage de Bajram Rexhepi, maire de Mitrovitsa. La ville de Mitrovitsa, au Nord du Kosovo, est devenue célèbre à cause de son pont, celui qui la coupe en deux: il séparait la population albanaise du dernier bastion serbe. Bajram Rexhepi, chirurgien, a été engagé comme chirurgien, dans l'Armée de libération du Kosovo. Devant la caméra de Chris Marker, il parle de son engagement en temps de guerre et analyse avec lucidité les circonstances qui l'ont fait maire de Mitrovitsa. C'est cette lucidité, rare dans les Balkans, qui lui vaudra plus tard d'être nommé Premier ministre dans le gouvernement issu des élections de 2001".
La page du site Wikipedia consacrée à Bajram Rexhepi apporte d'autres précisions.
"Durant le conflit de 1999, Rexhepi a rejoint l'Armée de libération du Kosovo et a passé trois mois comme médecin de terrain. Aux élections générales de novembre 2001, au Kosovo, le parti de Rexhepi a remporté 25,7 % des suffrages, au deuxième rang après Ibrahim Rugova de la Ligue démocratique du Kosovo. Rexhepi a été nommé Premier ministre par l'Assemblée du Kosovo le 4 mars 2002. [...] Rexhepi est considéré comme un politicien modéré et il a affirmé que l'un de ses principaux objectifs serait de "promouvoir la tolérance et la réconciliation"."
Quoiqu'il en soit, Bajram Rexhepi a été présenté à Marker par François Crémieux, le protagoniste de Casque bleu (1995), un de ses courts métrages précédents, devenu depuis lors directeur d'hôpital en France. Lors de "Vidéo et après. Chris Marker vu par...", hommage du Centre Pompidou, le 18 mars 2013, François Crémieux a précisé que la rencontre entre les deux hommes avait eu lieu à l'occasion d'un voyage de 3 semaines, le dernier de Marker au Kosovo (ou en tout cas l'un des tous derniers).
En 2016, Les Films du Jeudi, en association avec Arte, ont sorti un coffret DVD intitulé Chris Marker. Triologie des Balkans, comprenant les films Le 20h dans les camps, Casque Bleu et Un maire au Kosovo, ainsi que Slon Tango et une discussion entre François Crémieux et Jean-Michel Frodon, auxquels s'est joint un livret de 20 pages.
Générique (fin, dans l'ordre d'apparition)
[réalisation:] Chris Marker, François Crémieux
Et la voix de Federico Sanchez
Distribution: KG Production
Commentaire / scénario: non édité
Le souvenir d'un avenir / Yannick Bellon
2001 - France - 42' - DV - Couleur
Le souvenir d'un avenir n'est rien d'autre qu'un film documentaire réalisé en hommage à la photographe Denise Bellon, par sa fille Yannick, avec l'aide de Chris Marker, un ami de la famille. Lors du colloque "Dans l'antre du chat", proposé par la Haute école d'art et de design de Genève (HEAD), les 1er et 2 décembre 2011, dans le cadre du projet Spirales. Fragments d'une mémoire collective. Autour de Chris Marker, Thierry Garrel, "commission editor" du film pour le compte d'Arte, précise, en effet, que Chris Marker se laissait dire fort peu de choses dans son travail et que généralement cela se limitait à des détails, peu nombreux et toujours suggestifs, jamais contraignants, ceux-ci par ailleurs, généralement proférés lors de la vision du premier montage.
Plus encore, il revient sur l'origine de l'intervention de Chris Marker dans Le souvenir d'un avenir, à savoir que Yannick Bellon n'arrivait pas à terminer le film. Il s'agissait, en effet, du contrat ouvert le plus long qu'Arte ait connu, signé en 1991 ou 1992, ceci à la fois à cause des déboires signalés ci-dessous, et à la fois, explique Thierry Garrel, "parce qu'elle ne se sortait pas de ce film hommage à sa mère." "Tous les ans, précise-t-il, quand venait le temps d'arrêter les comptes, il fallait que je [T. Garrel] cache ce film d'une manière ou d'une autre pour qu'il n'apparaisse pas, car, évidemment, avec de l'argent public, on vous demande toujours où est passé l'argent, où est le film, sinon il faut résilier la convention et qu'on rende les sous, etc. Ca a duré très très longtemps et finalement, c'est Chris Marker qui a sauvé le film par amitié pour les Bellon... Loleh Bellon, Claude Roy (puisque Loleh Bellon, la comédienne, était la femme de Claude Roy et qu'ils faisaient partie de... on pourrait dire du même groupe tous: Chris Marker, Resnais, Cayrol etc.), et que Chris Marker est quelqu'un de fidèle."
Le site belge lepticine confirme ces dires. Le projet remonterait bien à 1990. Intitulé à l'origine Arrêt sur image, construit sur un texte de Claude Roy lu par sa femme Loleh Bellon (fille de Denise et divorcée de Jorge Semprùn, un autre proche de Marker, mais du côté des Montand), la réalisation en est confiée à Yannick. Un travail en famille en somme.
"Un important travail à partir du Fonds Denise Bellon (environ 20'000 négatifs de 1937 à 1956) est engagé. Tirages et sélections sont effectués avant le banc-titre." Or, dans le même temps, Les Films de l'équinoxe, co-producteur du Souvenir d'un avenir, entreprennent un autre film, L'affût, qui s'avère être un échec, mettant "en péril la poursuite de la production de Arrêt sur image."
Dans le même temps, Claude Orland, dit Claude Roy (1915-1997), puis Marie-Laure Bellon, dite Loleh Bellon (1925-1999), et enfin Denise Bellon (1902-1999) décèdent. Et donc, finalement, en 2001 Yannick décide de reprendre le projet, mais sous une autre forme, avec l'aide de Chris Marker.
Notons que le titre pourrait venir du poème de Claude Roy, Chanson des antipodes: "Parti pour ne plus revenir / et n'étant plus que pour moi-même / le souvenir d'un avenir / qui s'était cru d'espèce humaine". Mais. son origine pourrait être encore plus lointaine. En effet, la traduction espagnole du film de Marker-Bellon, Los recuerdos del porvenir, fait immédiatement référence à l'oeuvre de l'auteure mexicaine Elena Garro, publiée en 1963 et narrant la période de la "Guerre des Cristeras" des années 1926-1929, qui opposa les Catholiques à Gouvernement fédéral mexicain. Une guerre particulièrement sanguinaire et violente, due à la volonté du gouvernement d'affaiblir le pouvoir de l'Église en imposant la Constitution de 1917, réforme visant à laïciser l'État. Pour ce livre, Garro obtint le prix Xavier Villaurruta la même année, soit la reconnaissance directe des écrivains mexicains. Peut-être que ce rapprochement n'est pas anodin dans la genèse du film de Marker et Bellon, d'autant plus si on lit complètement le poème de Claude Roy. Une recherche reste à faire!
Quoiqu'il en soit, pour plus de détails techniques sur le film, on lira avec intérêt l'interview de Thierry Garrel accordée à la revue canadienne web POV, et publiée le 6 mai et le 13 juin 2017.
Générique (fin, dans l'ordre d'apparition)
photographies: Denise Bellon
film; Yannick Bellon, Chris Marker
voix: Pierre Arditi
tissu sonore: Michel Krasna (Chris Marker)
musique du générique: Federico Mompou - Musica Callada
banc-titre: Marchetti
post-production: Jean-François Naudon
mixage: Florent Lavallée
laboratoire: Centrimage
auditorium: Aura films-Digison
direction de production: Eric Le Roy
Une coproduction Les Films de l'équinoxe - Arte France
Unité de programme: Thierry Garel
Avec le soutien de la PROCIREP et la participation du Centre national de la cinématographie et du Ministère de la Culture
(c) France (2001) Les Films de l'équinoxe - ARTE France
Distribution: Films de l'équinoxe
Commentaire / scénario: non édité
Bibliographie
- (FR) Nathalie MARY, "Le souvenir d'un avenir", Bref, n° 51 (11/2001), p. 36-37
- (FR) Jean-Louis LEUTRAT, "Le souvenir d'un avenir", Positif, n° 489 (11/2001), p. 74-75
- (GB) Elvis MITCHELL, "Critic's choice / Film: anticipating dreams in captured moments", The New York times, n° n/a (28/05/2003), en ligne (web)
- (GB) Michael ALMEREYDA, "Deciphering the future", Film comment, vol. 39, n° 3 (05-06/2003), p. 36-37 (web)
- (FR) Gérard GRUGEAU, "Les abîmes du regard / Le souvenir d'un avenir de Yannick Bellon et Chris Marker", 24 images, n° 115 (été 2003), p. 53 (web)
- (FR) anonyme, "Le souvenir d'un avenir", Le p'tit ciné: regards sur les docs, 05-06/2005, en ligne (web)
- (GB) Eric HENDERSON, "Review: Chris Marker's Remembrance of things to come on Icarus DVD", slantmagazine.com, 12/09/2008, en ligne (web)
- (GB) Janet HARBORD, "The Skein of the archive: Denise Bellon and Remembrance of things to come", afterall.org, 23/03/2010, en ligne (web)
- (FR) Marcos MARIÑO, "Puissance de la photographie", Revue du Ciné-club universitaire de Genève, 09-12/2011, p. 55-58 (web)
- (ES) María Luisa ORTEGA, "Souvenir d'un avenir / Recuerdos del porvenir (Chris Marker y Yannick Bellon, 2001), in Ramón Espanza ESTAUN / Nekane Parejo GIMÉNEZ (ed.) Solos ante la cámara: biopics de fotógrafos y cineastas, Barcelona: Luces de Galibo, 12/2011, p. 23- 30 (web)
- Cahier Louis-Lumière, n° 9 (2015): Mémoires d'écoles - Audio-visual archives and memory in schools (web)
- (GB) Ben FERRIS, "Remembrance of things to come", p. 44-50
- (FR) Ben FERRIS, "Souvenir d'un avenir", p. 129-135
- (KR) Jahye LEE, "The figuration of thinking in "essay film" - Focused on Chris Marker's Le souvenir d'un avenir", [Communication design studies / JCD], n° 60 (2017), p. 319-332 web): en coréen
- (ES) Nekane PAREJO, "La fotófrafa Denise Bellon: surrealismo, documentalismo y fotografía humanista", Liño, vol. 23, n° 23 (06/2017), p. 139-146 (web)
- (ES) Mariana MARTINEZ, "Recuerdos del porvernir", Correspondencias: cine y pensamiento (Mexico), n° 4 (inverno 2018), en ligne (web)
Le regard du bourreau (Henchman Glance) / Léo Hurwitz
2008 - France - 31' - vidéo - N&B et Couleur
En juin 1961, dans le cadre d'un procès débuté le 11 avril à Jérusalem, le film Nuit et brouillard est projeté à l'accusé Adolf Eichmann, principal criminel de guerre nazi, enlevé l'année précédente par le Mossad. Le documentariste américain Leo Hurwitz filme la scène, ainsi que tout le reste du procès. Des années plus tard, Chris Marker reprend ce document qui, ainsi remonté, confronte les regards de trois cinéastes: Resnais, Hurwitz et le sien. Guillaume Morel décrit ce processus avec précision:
"Le cinéma y est encore conçu comme l'expérience d'une confrontation. Dans ce film, Chris Marker remet au travail une séquence tournée par Leo Hurwitz lors du procès Eichmann (mais hors plaidoirie), où ce dernier est confronté à la projection de Nuit et brouillard. Le film en noir et blanc de Hurwitz s'organisait principalement dans un champ / contre-champ parcimonieux entre Eichmann (le regardant) et le film de Resnais (le regardé). Selon sa propre expression, Marker en 2008 a souhaité effectuer "une mise à jour" de ce document peu connu que lui avait transféré l'historienne Sylvie Lindeperg. Dans les extraits de Nuit et brouillard, Marker réintègre alors la couleur des plans tournés par Resnais et réintroduit le képi censuré sur la tête du gendarme de Pithiviers. Simplicité du geste et grandes conséquences, est-on tenté de dire. D'abord le film est rendu dans la version souhaitée par Resnais. On y lit un hommage de Marker à son compagnon de cinéma. Puis par la réintroduction du dispositif du film de Resnais (alternance de la couleur et du noir et blanc) au sein du document tourné par Hurwitz, Marker semble vouloir nous constituer un peu plus aussi comme spectateurs de Nuit et brouillard. Là où Hurwitz fondait les extraits Nuit et brouillard dans son film, Chris Marker détache lui clairement les deux régimes d'images. Nous sommes comme mis en tension à cause d'une double lecture entrelacée: nous regardons un nazi regarder Nuit et brouillard, film dont nous sommes aussi en quelque sorte les spectateurs simultanés. Ce qui se produit en nous par la redécouverte toujours vive du film de Resnais est refendu par l'opacité du visage de Eichmann qui le découvre également. La confrontation réflexive des deux principes qui font le cinéma, captation et projection, atteint avec ce film un sommet."
Henchman Glance a semble-t-il été présenté pour la première fois le 3 juin 2010 au DOCUMENTARY Forum 1 de Berlin.
Il a également été présenté à la Tate Gallery de Londres dans le cadre du projet "The image in question III" du Otolith Group à l'occasion du Turner Prize. Une discussion (en anglais) a eu lieu après la projection avec Adrian Rifkin et Eyal Sivan.
Il a été projeté le 2 avril 2011 à Cinéma du réel (catalogue p. 83).
On a pu encore le voir le lundi 26 septembre 2011, ce fut au tour des Laboratoires d'Aubervilliers de proposer une projection de ce film dans le cadre de Illegal Cinéma #58, avec une présentation de Virginie Bobin.
* * * * *
En février 2011, Chris Marker écrit à Florence Dauman, fille d'Anatole Dauman, directeur d'Argos films et producteur de Nuit et brouillard:
"Quand j'ai récupéré le document israélien, muet et avec, entre les plans d'Eichmann, la vue de l'écran sur lequel on lui montrait le film, en N&B flou, j'ai pensé que la "chose à faire" (dans l'absolu, sans aucune intention) c'était de remettre le son et de remplacer les écrans par les extraits du film. C'était juste un acte de bon sens: si on voulait montrer ce petit moment d'histoire, au moins qu'il soit parfaitement lisible. Le reste ne me regarde pas."
Générique
Document original tiré du film Le procès d'Adolf Eichmann (1961) de Léo Hurwitz, avec des extraits de Nuit et brouillard (1955) d'Alain Resnais, le tout remonté par Chris Marker.
Distribution: n/a
Commentaire / scénario: non édité
L'Ouvroir - the movie / Max Moswitzer
2010 - FR - 29' - animation numérique - Couleur
Ce film d'animation consiste en une visite de l'Ouvroir, le musée virtuel de Chris Marker conçu avec l'aide de Max Moswitzer et le chat Guillaume-en-Egypte, dans Second Life (coordonnées 189, 70, 39).
Cartel développé - Centre Georges Pompidou (Christine van Assche)
Ouvroir - the movie - 2010
Projection vidéo
Vidéo, couleur, son, 30'
Collection Centre Pompidou, MNAM, Service Nouveaux Médias, AM 2011-161.
Monde virtuel conçu par Marker et son ingénieur-informaticien-ami Max Moswitzer, se référant au livre L'Invention de Morel d'Adolfo Bioy Casares, l'Ouvroir est un archipel 3D sur lequel nous sommes accueillis par l'avatar du célèbre chat Guillaume-en-Egypte pour visiter divers espaces dont un musée présentant des photos de Marker, une salle de cinéma, une salle de lecture avec entre autres les guides "Petite Planète", les installations "Silent movie" et "The hollow men", des affiches de cinéma, une galerie de portraits des cinéastes amis, ainsi qu'une galerie de collages "X-Plugs".
À partir d'une trajectoire choisie, l'Ouvroir - the movie est le film que Marker a réalisé à partir des éléments conçus sur cette plateforme 3D (Second Life - adresse 189.70.39) afin, paradoxalement, de "dire adieu au cinéma, sans doute" et très certainement de faire subsister cette île et ses avatars dans un temps infini.
Marker est également présent par son avatar russo-japonais, Sergei Murasaki, comme pour affirmer ce "désir d'irréelle réalité d'une autre vie et d'un jeu de Trompe-la-mort à élaborer pour survivre à l'inhumanité des temps sans jamais rien en ignorer", écrit Raymond Bellour dans la revue Trafic n°84.
Générique
réalisation: Max Moswitzer et Chris Marker
Distribution: Films du Jeudi
Commentaire / scénario: non édité (muet)